Lettre de l’Ile Maurice

Chers amis,

Quelques nouvelles de cette petite île (1/3 du département du Lot avec 1.400.000 habitants) perdue dans l’Océan Indien, Maurice !

Le pays est pas mal secoué ces temps-ci par des scandales politico-financiers qui ont amené la démission de la Présidente de la République (mais c’est le Premier Ministre qui gouverne) et traumatisé par déjà 70 morts sur les routes depuis le 1er janvier !
Une ambiance de violence verbale et physique qui tempère fortement le plaisir de vivre sous les tropiques que viennent chercher les touristes... Heureusement pour l’économie du pays, les touristes arrivent toujours aussi nombreux, mais s’ils ne fréquentent que les plages de rêve et les hôtels de luxe, ils ne se rendent pas compte de ce qu’est l’ordinaire du Mauricien moyen.
La disparité du niveau de vie entre des très très riches et une majorité aux revenus modestes ne favorise pas une paix sociale très fragile. Le salaire minimum vient d’être créé et fixé à 8000 roupies soit environ 200 euros mais beaucoup n’y arrivent pas car ils n’ont pas les 42 heures hebdomadaires. Le gouvernement se lance dans de grands projets dits de développement (métro express sur 25 km pour relier la capitale Port-Louis, nouvelles villes intelligentes -smart city- financées par l’Inde et la Chine...) mais pendant ce temps, la majorité de la population n’a l’eau que quelques heures par jour et l’état des routes ne favorise pas la conduite en toute sécurité... Le Mauricien est d’un naturel fataliste, « les choses sont comme ça, qu’est-ce qu’on peut y faire ! » et se dit que le changement dépend des autres...
Ajouté à cela un pluralisme culturel et religieux qui souffre parfois d’un communautarisme exacerbé, surtout lorsqu’il est utilisé par les politiques. Avec 50% d’Hindous, 20% de Musulmans et près de 30% de chrétiens toutes confessions confondues, le vivre ensemble, qui est le slogan officiel, est tailladé par beaucoup de coups de canifs qui nourrissent des rancœurs silencieuses surtout quand elles touchent à la préférence communautaire dans les embauches ou les promotions... On dit que c’est un pays arc-en-ciel où les couleurs ne se mêlent jamais, mais heureusement on assiste aussi à de beaux gestes de solidarité et de coopération entre communautés.

Dans cette ambiance, participer à l’animation de la communauté catholique avec un laïcat important, un clergé composé de la moitié seulement d’autochtones avec à sa tête le Cardinal Maurice Piat (démissionnaire pour raison d’âge mais toujours en poste) et une population avide de religieux est une tâche passionnante mais pas de tout repos.
La paroisse Ste Thérèse d’Avila à Curepipe (deuxième ville du pays) fête cette année ses 150 ans et se mobilise autour du thème « ensemble faisons Eglise ». Avec environ 20000 catholiques en majorité créoles (descendants d’esclaves ou d’immigrés africains et des anciens comptoirs de l’Inde) et une population blanche qui préfère la fraîcheur du plateau central au climat chaud du littoral, la paroisse compte une multitude de groupes dispersés dans les quartiers et se rassemblant dans des centres paroissiaux ou dans des maisons particulières pour des temps de réflexion ou de prière et pour des eucharisties célébrées régulièrement en semaine.
A l’église, chaque matin près de 200 fidèles participent à la messe, le vendredi c’est entre 900 et 1000 et aux 5 messes du week-end le nombre total se situe entre 4000 et 5000. Par contre, le mercredi des cendres, le vendredi saint et le jour de Pâques, ça déborde de partout. Mais passer d’une pratique de religion populaire (que l’on retrouve aussi chez les Hindous) à une foi engagée trouve les mêmes difficultés que dans nos communautés de France !
La pastorale diocésaine est animée actuellement par un grand projet de réorganisation appelé Kléopas qui met l’accent sur la nouvelle évangélisation en même temps qu’une approche repensée de la catéchèse, de la sacramentalisation et aussi de l’accompagnement des divorcés engagés dans une nouvelle union.
Par ailleurs, le 13 mai les 4 premiers diacres permanents du diocèse ont été ordonnés et le 22 juillet nous aurons l’ordination de Yudesh, un tamoul converti à l’adolescence et qui finit son séminaire à Nantes, comme pour tous les diocèses de l’Océan Indien. Il y a deux autres séminaristes en formation.

De fin octobre à mi-janvier on m’a demandé d’aller faire un intérim sur l’Ile Rodrigues à 600 km de Maurice. Elle bénéficie d’un régime d’autonomie (un peu comme la Catalogne espagnole) depuis 2002 et est érigée en Vicariat apostolique depuis la même date avec un évêque et 3 prêtres. C’est en attendant un religieux congolais que j’ai assuré l’animation pastorale du chef-lieu, Port Mathurin, avec 3 églises.
Ce caillou de moins de 30 km de long compte 42000 habitants, à grande majorité créoles et chrétiens. Les communautés sont très vivantes et ont l’habitude de se prendre en charge, en particulier pour l’animation des villages dispersés... Si ici, les distances ne sont jamais grandes, c’est en heures qu’il faut compter les déplacements, avec des routes en bon état mais au relief très accidenté avec des virages à 160 degrés et quelques pentes à plus de 10%... Les vieux bus créent souvent des bouchons !!!.
Je connaissais un peu cette île puisque j’y étais venu 2 fois lors de mon précédent séjour à Maurice, en particulier en 2006 pour y tourner un film pour « Le jour du Seigneur DOM-TOM »... Depuis, beaucoup de choses ont évolué et se sont améliorées... mais un problème vital reste : le manque d’eau ! La distribution est assurée quelques heures tous les 15 ou 20 jours à tour de rôle dans les bourgs et villages... L’agriculture (nous dirions en France, de montagne) souffre terriblement de la sécheresse cette année et l’élevage a été décimé en 2016 par une pandémie de fièvre aphteuse, ce qui pose des problèmes d’autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, tous les autres produits arrivent irrégulièrement de Maurice par bateau... Les rayons des épiceries sont souvent vides... « on attend le prochain bateau- Quand ? - La semaine prochaine peut-être ! »
Il y a ici un rapport au temps tout à fait différent, et la population fait preuve de beaucoup de philosophie... mais les jeunes cherchent pour la plupart à s’expatrier... un autre problème.
C’est dans cette ambiance que nous avons activement préparé Noël : les responsables de la liturgie avaient déjà prévu une veillée avant mon arrivée et comme l’église principale était en restauration, nous avons célébré en plein air sur une esplanade munie de gradins qui domine Port-Mathurin... C’était splendide et avec 27 degrés la nuit, l’enfant Jésus n’avait pas besoin de petite laine ! Les enfants, les chorales des 3 églises et bon nombre d’adultes ont animé une liturgie festive, colorée aux accents créoles qui a attiré une grande foule.

Depuis mon retour mi-janvier, nous avons connu à Maurice 2 fortes tempêtes tropicales qui ont fait beaucoup de dégâts, surtout à cause des inondations... Plusieurs familles dans des quartiers populaires ont souffert voyant leur intérieur envahi par l’eau et la boue, et les maraîchers ont perdu une partie de leurs plantations ce qui aussitôt fait monter les prix des légumes courants, mettant à mal le budget des familles modestes.

En ce mois de mai, la communauté paroissiale prépare la fête de la Pentecôte et 3 célébrations de confirmation pour 300 enfants de différentes écoles publiques, confessionnelles et du lycée français dont j’accompagne la catéchèse.

Que l’Esprit souffle sur les hommes de bonne volonté d’ici et d’ailleurs.

Souvenir cordial d’un hiver tropical qui commence.

Père René Bergougnoux

Soutenir par un don