Baptême du Seigneur, Saint-Céré - 10 janvier 2016 - homélie

Homélie de Mgr Camiade

En célébrant aujourd’hui le baptême du Christ, nous sommes tout de suite renvoyés à notre propre baptême. Pour les parents ou les familles qui viennent de célébrer le baptême d’un enfant, c’est un souvenir tout proche, encore plein d’émotion, le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’intense et qui nous dépasse infiniment... Pour les plus anciens, le souvenir du baptême est souvent perdu dans le seul sentiment d’appartenance qu’il procure : je suis baptisé, cela fait partie de mon identité, comme je mesure 1m75, j’ai des yeux verts et je pèse... au fait combien je pèse ?

Changeons de sujet : le tout-petit, encore tout humide de l’eau du baptême ne pèse pas lourd. Pourtant Dieu s’est abaissé devant lui, Dieu a pris soin de lui et s’est mis à son service. Il est mort pour lui, pour lui donner la vie éternelle. Là est le grand mystère, lié au baptême. Saint Jean-Baptiste ne s’y trompe pas. Il prévient humblement ses disciples : "Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu". On pourrait se dire qu’un Dieu qui s’abaisse à se faire baptiser par un homme, même un homme humble, n’est pas très crédible. Est-ce qu’il n’est pas en train de faire une faute en termes de communication ? Pourtant, ce n’est pas de la com, c’est la liberté d’un Dieu qui n’a rien à prouver car il est Dieu quelque soit sa côte de popularité et qui se soucie des hommes. Le tout-puissant vient se mêler aux pauvres et aux pécheurs.

La première lecture est extraordinaire à cet égard. Elle nous montre deux images, celle de la voix puissante et celle du berger plein de tendresse. La voix est si puissante qu’elle aplanit les montagnes pour annoncer la puissance du Dieu sauveur. Mais le berger tout-puissant qui arrive, que fait-il ? Il prend ses brebis sur son cœur et rassemble ses agneaux ! Il va s’intéresser à ce qu’il y a de plus fragile dans son troupeau. Il voit dans cette fragilité la promesse de l’avenir. Ainsi est la miséricorde de Dieu. Ainsi est la grâce du baptême. Elle est le commencement de la vie chrétienne. Le baptême c’est d’être pris dans les bras du Christ, le bon pasteur, qui nous serre sur son cœur et qui vient nous guérir du péché. On peut dire que le premier geste concret de miséricorde qu’a fait Dieu pour chacun de nous, c’est notre baptême. Ce geste est renouvelé dans chaque sacrement. Le sacrement de la confession des péchés pour recevoir le pardon qui est toujours une réactualisation du baptême, la communion pour nourrir en nous la vie chrétienne et éviter que nous restions des agneaux rachitiques mais nous permettre d’être des brebis de poids (au sens spirituel, bien sûr), et aussi la confirmation de notre baptême pour nous faire grandir dans la foi. On pourrait aussi parler du mariage, du sacrement de l’ordre ou du sacrement de l’onction des malades. Retenons simplement qu’à chaque fois, le Christ Jésus nous prend tendrement dans ses bras et nous porte sur son cœur, selon l’image donnée par le prophète Isaïe.

Nous avons entendu aussi dans la seconde lecture l’Apôtre saint Paul qui écrivait à son disciple Tite : "Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint".

Dieu s’est fait homme en Jésus (nous avons célébré ce mystère à Noël) et il a voulu être baptisé pour qu’il y ait un rite par lequel nous soyons remplis de sa grâce et de sa tendresse, un rite par lequel nous soyons sûrs d’être serrés sur son cœur, un rite à travers lequel il nous sauve définitivement du péché.

Il faut le reconnaître, notre vie ne pèserait pas lourd en poids d’amour, à côté de l’amour de Dieu s’Il ne nous prenait pas dans ses bras pour nous faire écouter battre son cœur et laisser le nôtre s’accorder au rythme de ses battements.

Il est facile et tragique de se faire de fausses images de Dieu. De penser que Dieu veut se venger ou qu’Il peut servir de prétexte à la guerre et à nos revanches. Il est bien triste de voir certains de nos contemporains séduits par de fausses doctrines sur Dieu et s’imaginer que les injustices et les saletés de ce monde vont être vaincues par la violence. Au siècle dernier, le nazisme a fait 10 Millions de morts au nom d’un athéisme exaltant la race aryenne pour élever l’humanité à sa perfection. Le communisme, estime-t-on, a fait plus de 65 Millions de morts, au nom du matérialisme athée rêvant d’une société parfaite.

Au XXI° siècle, c’est le terrorisme djihadiste qui suit l’exemple de ces idéologies athées et en est aujourd’hui à plus de 140 000 morts en 15 ans. Ils n’ont heureusement pas encore eu les moyens d’en faire plus même s’ils font plus de publicité que leurs prédécesseurs. Mais au fond il y a une logique semblable de sacrifice de centaines de milliers de vies à l’avenir d’une collectivité, qu’il s’agisse de la race pure nazie, de la société communiste ou de l’oumma islamique. Si les idéologies athées ne pouvaient pas se confondre avec des religions malgré leurs rituels, les fanatiques d’aujourd’hui prétendent tuer au nom de Dieu. Ceci, en plus de la mise en scène elle-même de la violence qui est terriblement impressionnante, ne peut pas nous laisser indifférents : "Tuer au nom de Dieu est un blasphème" a dit le pape.

Dans l’histoire, il y a souvent eu de la violence au nom de Dieu et des affrontements entre croyants pour défendre leur liberté de culte ou pour tenter d’imposer leur façon de voir. Le terrorisme djihadiste ne semble pas imposer grand chose d’autre que la psychose. Mais il fait parler de l’Islam dans des sociétés laïques où l’on aurait pu l’oublier et le laisser s’étouffer dans les préoccupations matérialistes. Peut-être, en ce sens, rend-il aussi quelque service aux autres religions qui trouvent sur ce terrain sordide, des occasions de faire connaître leur point de vue et donc d’exister médiatiquement. Les politiques ne s’y trompent pas et font tout, eux aussi, pour récupérer leur part d’image publique. Chacun fait sa petite déclaration mais, finalement, chacun est utilisé autant qu’il croit utiliser le système pour exister puisque les convictions profondes de celui qui parle importent peu : c’est toujours le même message, celui du responsable religieux chrétien, musulman, juif, celui du politique ou celui de la star du show-business, c’est presque du copier-coller ! Avec quelques différences de style, mais rien d’original, semble-t-il.

Le problème, dans tout cela, c’est que même dans cet unanimité apparente Dieu reste instrumentalisé. Pour les terroristes il était un prétexte à tuer, pour ceux qui les condamnent, il apparaît comme un moyen pour faire parler de soi ou, au mieux, sauvegarder la paix sociale. Dieu n’apparaît que comme un moyen et non pas une fin. N’est-il pas Celui qui nous fascine par son amour infini ? Celui qui nous étonne par sa transcendance ? Celui qui nous pose question parce qu’Il reste invisible à nos yeux ?

Dans ces débats écrits d’avance, Dieu reste muet et abstrait. Les uns se servent de Dieu pour détruire, d’autres, en réponse, essaient de se servir de Dieu (ou de la sacro-sainte laïcité qui remplace pour certains l’idée de Dieu) pour maintenir la paix sociale (ce qui est important !) et se faire valoir (ce qui est plus ambigu). Dieu ou ses succédanés, semble ici enfermé dans l’utilitarisme social ou communautaire. En cela, rien n’a fondamentalement changé depuis le nazisme et le communisme.

Du reste, les slogans et les déclarations publiques, aussi bénéfiques soient-ils pour la paix sociale à court terme, ne peuvent pas remplacer une réflexion de fond sur le rapport entre la foi et la raison, sur le sens sacré de la vie, comme sur le statut de la violence dans la religion. D’ailleurs, les prises de parole publique ne convainquent pas quand tout le monde sait qu’elles sont de circonstance et ne traduisent pas une conviction profonde. Alors elles sonnent faux. Ma mission d’évêque n’est heureusement pas d’entrer dans un tel concert utilitariste. J’ai été envoyé vers vous pour annoncer la parole de Dieu qui nous met en relation avec Lui.

Revenons donc à l’Évangile. Après le baptême de Jésus, Jésus est au milieu du Peuple et il prie. Son abaissement parmi les hommes va jusque là : Jésus paraît entrer dans la prière du Peuple, il se fond parmi tous. Mais alors, de manière inattendue, la voix de Dieu se fait entendre : "Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie". Dieu s’adresse ainsi à son Fils au moment où en se faisant l’un de nous, un parmi tous les autres hommes qui prient, il institue un rite pour nous rendre semblables à lui, pour nous permettre de devenir nous aussi des fils, de former une fraternité sous son regard de Miséricorde et de bienveillance. Dieu ouvre les bras aux pécheurs et, grâce au salut opéré par son Fils, Il trouve désormais sa joie dans ses fils bien-aimés.

Il existe de nombreux passages de la Bible où s’exprime une certaine violence. Il est même souvent question de la colère de Dieu. Dieu, en effet se met en colère lorsque les hommes commettent des péchés. Il faut bien comprendre que Dieu est un Père attentif, qui n’est pas indifférent lorsque ses enfants gâchent la vie qu’Il leur a donné. Alors, avec sa voix puissante, il crie : "les enfants, attention, je vais venir et ça va aller mal !" Mais, comme le dit le psaume [29(30), 6], "sa colère ne dure qu’un instant, sa bonté toute la vie". C’est le propre du Dieu miséricordieux que d’être remué jusqu’au fond de ses entrailles, indigné et en colère devant le mal commis sous ses yeux, mais sa miséricorde ne s’arrête pas à la colère, Dieu la surmonte par sa bienveillance infinie.

Lire la Bible ne devrait jamais consister à extraire un morceau de phrase ni même un paragraphe en le coupant du contexte. Il faut voir la Révélation biblique comme un ensemble cohérent et y découvrir que c’est toujours l’Amour du Père qui s’y révèle, même dans la colère face aux péchés des hommes, à leurs infidélités, à la répétition de leurs trahisons de cet amour, à leur violence incontrôlée, à leurs crimes contre la vie naissante, à leurs injustices, au saccage de la nature et à leurs guerres fratricides. Mais la colère de Dieu est vaincue par son amour. Après avoir abaissé nos montagnes d’orgueil en criant sur nous de sa voix puissante, à cause de son amour, Dieu se livre pour nous. Il ne sacrifie personne mais s’offre lui-même sur la croix. Et Il nous prend dans ses bras pour nous serrer sur son cœur.

Oui, le baptême nous a donné une identité nouvelle. Il nous a donné une taille nouvelle puisqu’il fait grandir nos capacités d’aimer, au rythme du battement du cœur de Dieu. Le baptême nous donne un regard nouveau : regarder l’autre comme un frère, fils bien-aimé du Père, un frère en qui Dieu trouve sa joie. Le baptême nous donne un poids nouveau car notre existence pèse aux yeux de Dieu, nos actes comptent pour Lui et chacun de nos efforts pour sortir de notre indifférence envers la misère humaine et envers Dieu est une promesse de bonheur éternel que nous goûterons avec délices quand "se réalisera la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ" (Tite 2,13). Amen.

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