Marie qui défait des nœuds - Prière pour les familles en difficulté

Montcuq, dimanche 22 septembre 2019.

Homélie de Mgr Laurent Camiade

Je connais mal cette dévotion à Marie qui défait les nœuds et, pour préparer cette célébration, j’ai dû regarder de plus près ce beau tableau. Plus on le regarde, plus on est touché. Je suppose que parmi vous il y en a aussi pas mal qui découvrent cette image. Ce qui me frappe le plus c’est l’optimisme qu’il contient. Cette image ne cache pas les difficultés de la vie puisqu’on voit même un ruban plein de nœuds que l’ange de droite présente à Marie pour qu’elle les défasse. Les nœuds de nos existences sont multiples, soit d’ordre matériel, psychique, relationnel, social et souvent ils mélangent plusieurs de ces dimensions. Sur le tableau, on voit aussi, aux pieds de la vierge, le serpent qui a tenté Eve au jardin d’Eden, image des origines du péché et du mal. C’est classique dans l’iconographie chrétienne de voir Marie écraser la tête du serpent qui symbolise le diable, c’est-à-dire le diviseur, l’adversaire du bien de l’humanité. Mais dans ce tableau, Marie écrase un serpent qui est lui-même plein de nœuds. Alors dans les nœuds qui nous empêchent de vivre heureux, il y a sûrement, quelque part à l’origine, même si c’est très indirect, une cause qui est un péché. Et le nœud ne peut se défaire en nous si nous ignorons notre propre part d’ombre et de péché qui est souvent enfouie. Nous nous faisons des nœuds parce que nous nous culpabilisons pour des choses qui ne viennent pas forcément de nous et nous nous cachons à nous-mêmes les nœuds les plus profonds de nos âmes. Marie qui défait les nœuds n’est ni dans la logique de l’accusation ni dans une logique de déni. Elle regarde attentivement et avec bienveillance le nœud qu’elle va défaire. Et là où le tableau est optimiste, c’est qu’à gauche, il y a un autre ange qui nous regarde et nous montre le ruban dénoué, tout lisse, sans aucun nœud, comme pour nous dire : voyez ce que Marie est capable de faire !

Saint Paul, dans le passage de la lettre à Timothée qui est la seconde lecture de la messe de ce dimanche montre aussi son optimisme en nous encourageant à prier Dieu parce que précisément « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ». Cela veut dire qu’à priori, personne n’est exclu du Salut, la révélation de l’amour de Dieu n’est pas pour une élite, mais pour tous les hommes, Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés ». C’est peut-être une évidence, mais parfois, il peut nous arriver de nous faire des nœuds et, soit de nous croire nous-mêmes exclus, soit de nous persuader que telle ou telle personne, à cause de ce qu’elle a fait, n’aura pas accès au Salut. C’est un mystère qui nous dépasse de savoir qui a accueilli le Salut de Dieu et qui s’en est écarté un temps, ou définitivement. Par contre ce que dit clairement saint Paul ici, c’est que ce Salut, dans le désir et le projet de Dieu, est offert à tous. Il ne se cache à personne. Le pape François, dans son exhortation Amoris laetitia après les synodes sur la famille, dit, comme en écho à ce verset de saint Paul, que l’Église, épouse du Christ, « adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne » (n°309) et il a écrit aussi « Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde ‘‘imméritée, inconditionnelle et gratuite’’. Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! » (n° 297)

Si je rappelle ces citations, c’est parce que l’Église, parfois, a donné l’impression du contraire, qu’il y avait des personnes, en particulier les personnes engagées dans une nouvelle union après un divorce, qui n’auraient plus jamais leur place dans l’Église. Mais si Marie défait des nœuds, si Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et que c’est aussi la mission de l’Église de révéler à tous la vérité de l’Évangile et de communiquer la joie de l’Évangile, tout le monde peut trouver sa place dans l’Église et y avancer à son rythme, suivre son chemin. Car le propre de la vie dans l’Église, ce n’est pas non plus d’avoir sa carte de fidélité, «  voyageur », « grand voyageur », « grand voyageur plus »… et de la sortir devant le contrôleur. Non, ce n’est pas comme ça qu’on est chrétien ! Le propre de la vie dans l’Église, ce n’est pas d’accumuler des points mais de suivre Jésus, d’être ses disciples, de marcher à sa suite, ce qui veut dire de ne pas être centré sur moi-même, focalisé sur mes performances ou mes échecs, mais de chercher à grandir dans l’amour fraternel, de s’ouvrir aux autres, de pardonner, de se laisser aimer et pardonner. Ceux par exemple qui communient tous les dimanches ou même plusieurs fois par semaine sans jamais regarder ce qui se passe autour d’eux, sans chercher véritablement l’union à Dieu ni la fraternité avec les personnes proches ou lointaines, ne sont pas des modèles de vie chrétienne ! Peut-être même qu’il y a en eux des nœuds très serrés qui les empêchent d’aimer Dieu et leurs frères. Il sont peut-être dans des logiques de peur, peur de ceux qui ne sont pas comme eux, qui n’ont pas la même culture, la même éducation, la même histoire ni les mêmes façons de vivre… Mais pour ceux-là aussi, pour les parvenus de la vie spirituelle, Marie est prête à défaire des nœuds et Dieu veut leur faire connaître sa vérité qui est dans la joie de se laisser transformer jour après jour par le Saint-Esprit.

Dans l’évangile un peu emberlificoté de ce dimanche (mais cela va bien avec le thème des nœuds) il y a ce gérant qui dilapide les biens de son maître et on l’a dénoncé à son maître qui, dans un premier temps, veut le renvoyer. Mais il trouve une curieuse parade : il s’emploie à remettre une grosse partie des dettes de ceux à qui il avait prêté les biens de son maître. Il se met à donner gratuitement —ce qui, entre parenthèses, ne lui appartient même pas. Cela ne lui rien rapporté directement. Sauf que son maître, voyant cela, fait son éloge parce qu’il trouve habile de se montrer ainsi généreux. La générosité crée des liens avec ceux à qui on a montré de la miséricorde. Je pense que le Seigneur veut que nous soyons généreux, que nous mettions de la gratuité dans nos relations parce que cela crée des liens entre nous, des liens qui ne sont pas des nœuds mais des liens d’amour, des liens qui libèrent. Sur le tableau de Marie qui défait des nœuds, on voit l’ange qui nous montre le ruban dénoué et libre : il le soulève délicatement de sa main, sans le serrer, dans un geste qui libère, qui n’enferme pas, il ne ferme pas ses doigts sur le ruban. C’est la différence entre les liens d’amitié et les nœuds. L’amitié authentique fait grandir la liberté de chaque personne, elle ne crée pas de nœuds, mais développe un respect de plus en plus grand. Il y a une gratuité qui nous relie les uns aux autres non pas selon des contrats rigides mais par la seule force de l’amitié : «  faites-vous des amis avec l’argent trompeur » ose dire Jésus. Car l’amitié a une valeur éternelle, mais pas les richesses matérielles. « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».

Trop souvent, les nœuds qui divisent les familles et provoquent de graves conflits sont liés à l’argent, à la peur de manquer, à des injustices financières, à des désaccords sur les dépenses… Et ces nœuds durent longtemps, même après les divorces, avec par exemple les classiques conflits de pensions alimentaires. Si on suit ce que dit Jésus, il semble que l’argent soit toujours malhonnête. Bien sûr, pour maintenir la paix sociale, il est utile de rechercher l’équité et l’honnêteté. Mais jamais la justice parfaite ne peut être atteinte ici-bas. Alors, une fois qu’on a fait ce que l’on pouvait, il faut des gestes gratuits, des actes de miséricorde et de remise des dettes, sinon, on reste prisonniers de nœuds toujours plus serrés à chaque tentative de les dénouer par le moyen de nos efforts de justice.

La Mission de l’Église, c’est, comme pour le gérant malhonnête qui remet les dettes aux débiteurs de son maître, de distribuer des biens qui ne lui appartiennent pas. Elle est chargée de dispenser la grâce de Dieu, de répandre son amour sans limites, les dons infinis découlant de l’amour du Christ qui a souffert et donné sa vie sur la croix par amour pour les pécheurs. Pour recevoir cette grâce (imméritée, inconditionnelle et gratuite), il y a une seule condition : ne pas se fermer sur soi-même mais se mettre en route intérieurement vers Dieu et le monde qui nous entoure, la création, les frères que Dieu met sur notre chemin. Si nous ne présentons pas au Seigneur les nœuds qui freinent notre marche à la suite de Jésus, nous resterons prisonniers des nœuds du péché et des blessures que nous avons subies. Mais le Seigneur veut nous libérer.

Dieu ne supprimera pas forcément nos peines ni les croix que nous portons, mais il nous donnera la liberté intérieure qui permet d’avancer avec ça. Et Marie qui défait des nœuds est très puissante, avec sa bienveillance maternelle et sa douceur, pour nous libérer de ce qui bloque en nous.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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