"Protection, délivrance, guérison". Homélie de Mgr Camiade

21 mars 2019, cathédrale de Cahors

Homélie de Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

Mes frères,

Le Seigneur nous invite ce soir à deux attitudes apparemment contradictoires : trouver en Lui le repos et porter son joug.

Il est vrai qu’un joug de bœuf est, en principe, fait pour coupler la force de deux bœufs l’un à côté de l’autre. En tirant ensemble la charrue, chacun des deux se sent plus fort. Porter le joug du Christ, c’est porter notre fardeau avec lui. Dès que l’on se sent épaulé, le poids à porter est nettement moins lourd que si on est tout seul. Et si c’est Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui porte avec nous le joug, alors nous sommes assurés d’y arriver.

Mais Jésus ne nous demande pas de ne rien faire ni à se laisser faire. Il nous invite à porter le joug. Et cela n’est quand même pas de tout repos. C’est dans cet effort, dans cette attitude de disciple qui assume le poids de l’existence et l’exigence de la conversion, c’est à l’intérieur de ce mouvement de courage que « vous trouverez le repos pour votre âme ».

Le repos promis n’est pas la paresse, mais la sérénité, la paix intérieure, le repos de l’âme.

Jésus nous promet ainsi la joie intérieure. Non la facilité, mais la joie, la paix du cœur.

Le soulagement, le réconfort, la liberté intérieure, la guérison, sont des fruits que nous pouvons attendre de la prière. Mais il est important de bien comprendre qu’on ne vient pas prier Dieu comme on vient faire son marché : donnez-moi deux guérisons et trois délivrances ! Combien je vous dois ? Non ! La prière, c’est d’abord une rencontre avec quelqu’un qui nous offre en tout premier lieu son amitié, sa collaboration. Il ne vient pas nous guérir sans un engagement personnel de notre part. Il ne peut pas nous rendre réellement libres si nous ne devenons pas acteurs de notre propre libération intérieure. Sinon, il remplacerait un esclavage par un autre.

Dieu nous libère pour que nous soyons devant lui comme des fils. La différence entre l’esclave et le fils, c’est que l’esclave ignore ce que veut vraiment son maître et son maître peut faire ce qu’il veut de son esclave. Tandis que le fils connaît la volonté du Père, il sait que son Père l’aime et veut son bien, il marche avec son Père, dans la confiance. La libération que Dieu nous offre, c’est de devenir davantage ses fils, d’entrer dans cette amitié avec lui, dans cette alliance qui nous rend libres mais aussi partenaires de son œuvre.

C’est important de bien le comprendre : on ne peut pas instrumentaliser Dieu en lui demandant la guérison ou la délivrance, le réconfort ou la joie intérieure pour, aussitôt après, se détourner de Lui.

Notre relation avec Dieu n’est pas non plus du marchandage : « Je te donne ceci et Tu me soulages de mes peines ». Non ! Dieu donne gratuitement. Il ne veut rien en échange. Mais Dieu est amour. Dieu n’est qu’amour. La délivrance, la guérison, sont le fruit de son amour. Ce que Dieu donne, c’est son amour et sa miséricorde. Il donne son Fils pour nous sauver. Il donne tout ce qu’il est. Dieu n’a pas de mesure dans le don. Il est comme un Père qui donne ce qu’il a de meilleur à ses enfants. Et c’est pourquoi le don de Dieu exige notre réponse de fils. C’est notre liberté de devenir des disciples de Jésus, de chercher à devenir des fils, en disciples du Fils de Dieu.

Mais si nous refusons cette condition de disciples, le don spirituel que nous avons reçu va s’échapper de nous, se volatiliser. Jésus dans l’évangile de Luc, prend l’exemple d’un homme qui a été exorcisé, mais le démon qui a été chassé revient plus tard et trouvant la maison qu’il a laissée vide, propre et bien rangée, il s’y installe à nouveau avec sept autres démons plus méchants que lui. Cela veut dire que si notre âme se ferme à l’amitié de Dieu elle s’expose à la méchanceté du diable, à l’ingratitude, au mensonge, à l’égoïsme, à la fermeture du cœur.

Le véritable exorcisme est rare mais notre groupe d’écoute et d’exorcisme reçoit régulièrement des personnes, les écoute, les accompagne et prie pour ces personnes, pour leur délivrance. Nous devons tous porter dans notre prière ce ministère particulier qui n’est pas en marge de la vie de l’Église. Jésus lui-même, comme le rapportent les évangiles, a souvent guéri et délivré des malades ou des possédés. La société dans laquelle nous vivons est traversée par toutes sortes de fragilités, de nœuds spirituels et de maladies de tous ordres. La prière de l’Eglise, notre prière de ce soir, s’inscrit dans la compassion de Jésus envers de toutes les personnes vulnérables.

Dans sa Lettre au Peuple de Dieu du 20 août dernier, le pape François a souligné en parlant des victimes d’abus dans l’Église ou dans la société que lorsqu’un membre souffre, tous les membres du corps du Christ partagent sa souffrance. Cette communion dans la souffrance avec tous ceux qui souffrent doit faire partie intégrante de la vie en Église. Cette compassion est une clé pour que notre sensibilité s’aiguise à porter avec Jésus le joug de toutes les misères du monde. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une Église auto-centrée qui ne se préoccuperait de l’image extérieure qu’elle doit donner. Bien sûr, il ne s’agit pas de cultiver les scandales. Mais tout en ayant soin de témoigner de la grâce incroyable que le Seigneur nous fait dans sa miséricorde, nous sommes appelés à porter dans nos cœurs, dans notre prière, ceux qui ont le cœur brisé, ceux que nous avons pour vocation de réconforter, selon les mots de saint Paul dans la première lecture : « Dans toutes nos détresses, [Dieu] nous réconforte ; ainsi nous pouvons réconforter tous ceux qui sont dans la détresse, grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu... De même que nous avons largement part aux souffrances du Christ, de même, par le Christ, nous sommes largement réconfortés » (2 Co 1,4).

Le joug et le repos sont deux choses paradoxales mais Jésus-Christ nous invite à les accepter ensemble. C’est à l’intérieur de cette logique de la croix qui apporte le salut que nous pouvons prier en vérité et accomplir notre mission de baptisés au milieu d’un monde où les détresses et les souffrances sont si nombreuses. Passer du temps à visiter des malades, tenir la main des personnes souffrantes, écouter un moment nos frères et sœurs angoissés : voilà quelques attitudes onéreuses, qui demandent de l’énergie et du courage mais qui, vécues sous le joug du Christ, sont sources de joie et de renouvellement intérieur.

Mes frères, ce soir, dans notre prière, offrons au Seigneur nos détresses, nos angoisses, nos souffrances, nos sentiments d’injustice et confions-lui toutes les personnes qui souffrent et qui se sentent prisonnières, captives d’addictions ou de relations aliénantes... que le Seigneur leur donne le repos pour leurs âmes, la sérénité, la joie et qu’il restaure leur capacité d’aimer en vérité.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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