Lundi saint 2024 - Messe chrismale

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères et sœurs,

Nous connaissons tous l’existence du sacrement de l’Onction des malades, pour lequel nous allons bénir dans un instant l’huile sainte. Ce sacrement, me semble-t-il, met en évidence quelque chose de la mission spécifique des prêtres. En une période où la fragilité de certains prêtres est mise en lumière, il est précieux pour nous tous de nous redire aussi en quoi nous avons besoin des prêtres, ce qu’ils apportent à l’Église, ce qui donne sens à leur ministère et à leur engagement. L’exemple de l’onction des malades est un exemple que l’on cite rarement et c’est pourquoi j’ai voulu m’y arrêter un moment ce soir.

Prêtres ou pas, nous avons tous, tous les chrétiens, à prier pour les malades. Par la grâce de notre baptême et notre confirmation, nous avons part au sacerdoce du Christ, nous sommes tous, tous les baptisés, prêtres, prophètes et rois. Nous avons tous à prier pour les malades et le sacrement de l’onction des malades est lui aussi, comme tous les sacrements, un acte de l’Église, de toute l’Église et non pas seulement un acte individuel. Ce n’est pas un acte accompli sans l’Église. Il est d’autant plus important de le rappeler que, dans la pratique, ce sacrement est souvent vécu en tête à tête ou, en tout cas avec peu de participants, dans la chambre d’un malade. Parfois, vous l’avez peut-être vécu aussi en groupe, au cours d’une assemblée eucharistique, par exemple pendant le pèlerinage à Lourdes ou encore en paroisse comme cela se fait ici où là, pour une « journée des malades ». C’est une très bonne chose de vivre cela, ça aide à prendre conscience que ce sacrement est bien un acte de l’Église et non un acte de type magique, que l’on ferait presque en cachette, sans attendre autre chose qu’un effet physique et individuel. Même quand il y a très peu de participants à l’onction des malades, c’est aussi un acte de l’Église. Et la prière de l’Église pour un malade fait grandir la cohésion et la solidarité entre tous les membres de l’Église. « Quand un membre souffre, tous les membres [du corps de l’Église] partagent sa souffrance » (1 Co 12,26), écrivait saint Paul.

Le sacrement de l’onction est un acte de toute l’Église et, du fait du rôle spécifique des prêtres dans l’Église, ce sacrement nécessite la présence d’un prêtre. Comme pour célébrer l’eucharistie ou le sacrement de pénitence, il faut un prêtre pour cette onction. Pour un mariage ou un baptême, la présence d’un prêtre est prévue aussi, mais on peut s’en dispenser, les diacres célèbrent les baptêmes ou bénissent les mariages et, dans certaines circonstances rares, cela peut être aussi des laïcs qui baptisent (par exemple si une personne est en danger de mort, tout le monde peut la baptiser). Par ailleurs, sur un bateau ou dans des territoires de mission très isolés, un laïc peut être délégué pour attester de la validité d’un mariage, suivant des règles précises). Bref, pour l’onction des malades, comme pour l’eucharistie et pour la réconciliation, un prêtre est nécessaire. C’est l’antique tradition que, selon les termes de l’épître de saint Jacques, quand quelqu’un est malade, « il appelle les prêtres de l’Église : ils prieront sur lui après lui avoir fait une onction d’huile au nom du Seigneur » (Jc 5,14). La hiérarchie de l’Église n’a pas d’autre but que de relier l’Église à son origine sacrée, à sa tête, qui le Christ Jésus. Le sacrement de l’onction des malades, grâce au ministère du prêtre, est ainsi relié aux actes du Christ, à son œuvre de salut et aussi aux guérisons qu’il a accomplies durant sa vie publique. L’Église prie le Christ et celui-ci continue d’agir dans l’Église par le ministère de ceux qui sont les membres de sa hiérarchie, eux qui relient l’Église au Christ en posant humblement des actes prévus pour cela comme la prédication de la parole et la célébration de différents sacrements.

L’épître de saint Jacques dit par ailleurs des prêtres qu’ « ils prieront sur [le malade] après avoir fait une onction d’huile » : la prière des prêtres est associée à un geste. C’est le geste lui-même de l’onction qui fait le sacrement. Ce n’est pas la bénédiction de l’huile que nous allons vivre aujourd’hui qui est le sacrement, mais c’est bien le geste de l’onction accompli par le prêtre et accompagné de prière. C’est un très beau geste, un geste de contact qui manifeste combien Dieu veut toucher pour guérir. Jésus n’a pas hésité, même si la Loi l’interdisait, à toucher le lépreux. Il a fait de la boue avec sa salive pour guérir des aveugles. Ces gestes, bien entendu, n’avaient aucune connotation ambiguë. Ils s’apparentaient à des gestes de soin usuels de ce temps. Dans la parabole du bon samaritain, celui-ci fait des onctions d’huile à l’homme blessé abandonné sur le bord du chemin (cf. Lc 10,34), un geste de soin. Aujourd’hui encore, nous utilisons des crèmes médicinales à base d’huile pour toutes sortes de soins. L’huile pénètre la peau, elle la régénère. Mais on voit aussi que les Apôtres, selon l’Évangile de Marc, faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et les guérissaient (Mc 6,13), ce qui est clairement un geste non plus médicinal mais avec un pouvoir miraculeux. Ce geste montre donc combien le salut apporté par Jésus touche notre être non pas de façon simplement intellectuelle ni théorique, mais bien réelle. Le rôle du prêtre est profondément lié à cette dimension incarnée du salut. Il ne suffit pas de se rattacher à Jésus par une foi intellectuelle, en pensant à lui et en le priant, ce que chacun de nous peut faire individuellement. Mais nous avons besoin d’être, encore aujourd’hui, touchés par Jésus, de sentir que Dieu vient nous rejoindre jusque dans notre condition charnelle, au cœur de notre souffrance et de nos joies terrestres.

La beauté de l’onction des malades apparaît dans le réconfort ressenti et dans la fortification de la communion ecclésiale. Tout cela est le fruit d’une réalité spirituelle extraordinaire : la participation des malades au bien du peuple de Dieu qui se réalise lorsqu’ils parviennent à s’associer à la passion et à la mort du Christ qui a donné sa vie pour nous. En célébrant l’onction sacrée, dit le concile Vatican II, l’Église exhorte les malades, « en s’associant librement à la passion et à la mort du Christ, à apporter leur part pour le bien du Peuple de Dieu » (Lumen gentium n°11). Cela montre à toute l’Église que ce qui construit l’Église, ce n’est pas forcément nos grandes réalisations, nos grandes œuvres (aussi utiles et honorables soient-elles), ni même surtout nos petits efforts, mais cette communion particulière à la passion et à la mort du Christ qui est une liberté offerte à ceux qui éprouvent la faiblesse et s’approchent de la mort. Les épreuves sont des épreuves, elles n’ont rien en elles-mêmes d’agréable ni de désirable. Et il serait, en général, bien malsain de les rechercher. Mais il est important de se dire que nous avons tous la liberté de les vivre autrement que juste des mauvais moments à passer. Nous avons cette liberté à laquelle la grâce de l’onction des malades ouvre un accès puissant, de faire de la maladie un moyen de nous associer à la passion et la mort du Christ, de la transformer ainsi en force spirituelle qui édifie l’Église. A ce titre, l’Église propose la même chose aux prêtres qu’aux malades. Les prêtres sont appelés à une ressemblance particulière au Christ à travers leurs renoncements et leur fidélité à leurs engagements, ce qui est aussi une manière de s’associer à cette passion et cette mort pour édifier et faire grandir l’Église.

En conclusion, je voudrais rappeler que les prêtres, le jour de leur ordination, ont eux aussi reçu une onction, l’onction du saint-Chrême (et non de l’huile des malades) sur la paume de leurs mains. Cela montre que, par l’ordination nos mains sont faites pour oindre, pour servir de moyen à la grâce du Christ pour se communiquer aux autres. Cette consécration reçue nous engage à travailler toujours à une profonde unité de vie, à ne jamais exprimer autre chose avec nos mains, avec notre corps, que ce pour quoi nous avons été oints. Nous l’avons été pour transmettre l’Esprit Saint que nous avons reçu. C’est cet Esprit qu’invoquent les fidèles quand ils répondent au prêtre : « et avec votre Esprit ». L’esprit du prêtre est marqué par l’Esprit de Dieu cherchant à se répandre par son intermédiaire. Cela est à la fois très beau et très exigeant. Tout à l’heure, les prêtres vont renouveler leurs engagements devant vous, puis, vous prierez pour eux, pour nous. Gardez cette intention de prière tout au long de l’année et souvenez-vous aussi que vos prêtres, chaque jour prient pour vous en récitant la liturgie des heures, ils ont consacré leur vie à votre service, encourageons-les et soutenons-les ! Et ainsi par cet échange de biens spirituels, grandit le Corps du Christ.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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