Ouverture de la porte Sainte

Samedi 12 décembre, Cathédrale St-Etienne.
Après un rassemblement dans la cathédrale, suivi d’une procession depuis la porte Sud, l’assemblée a accompagné Mgr Camiade jusqu’à la porte Sainte (portail nord).

C’est une première. Comme l’ensemble des diocèses catholiques y ont été invités par le pape à ouvrir une "Porte sainte" pour marquer l’entrée dans l’année jubilaire de la Miséricorde, notre évêque a témoigné par ce geste fort, qui symbolise un nouveau départ, un chemin de dialogue pour sortir de nos peurs.

Homélie prononcée par Mgr Camiade durant la messe.

    "L’aboutissement de notre foi, c’est le salut des âmes" dit saint Pierre dans sa première lettre. Et ce salut est le fruit de la résurrection de Jésus, réalisée par "la grande miséricorde" du Père. Ce thème biblique de la Miséricorde est extrêmement vaste. Il dit, depuis que Dieu s’est révélé aux hommes que Dieu n’est pas indifférent aux problèmes des hommes, mieux : qu’Il s’en occupe. Miséricorde : le cœur rempli de la misère des hommes. Dieu est "miséricordieux", rahamîm en hébreu (= entrailles), ce qui signifie qu’il est bouleversé jusqu’au fond de Lui-même par le péché et la souffrance humaine et que sa bienveillance (hesed en hébreu qui se traduit aussi par miséricorde) envers l’homme n’a pas de limite.
    L’année de la miséricorde voulue par le pape François s’appuie donc sur le centre de la Révélation : Dieu parle aux hommes pour leur faire Miséricorde, pour les sauver. C’est parce que Dieu est Miséricordieux qu’il est apparu urgent au pape d’ouvrir un jubilé extraordinaire de la Miséricorde. C’est sa volonté personnelle en tant que pasteur universel de l’Église, qui sent que "c’est le moment". "Il y a des moments, écrit le pape, où nous sommes appelés de façon plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père".
    Dans la bulle d’indiction du jubilé extraordinaire de la Miséricorde, le pape ne développe pas plus les raisons qui font, qu’à son avis, "c’est le moment". Il y a, bien sûr, les 50 ans de la conclusion du Concile Vatican II dont l’Église ne veut pas perdre le souffle. Mais il reste que chacun de nous pourra se poser cette question : à mon avis, pourquoi est-ce le moment de fixer les yeux sur la miséricorde de Dieu ?
    Quelle que soit notre réponse personnelle, la première raison ne vient pas de la conjoncture. Elle vient de Dieu, de ce qu’est Dieu et que nous avons tendance à oublier. Nous oublions à quel point nous sommes aimés. Il nous faut regarder vers Lui. Fixer notre regard sur Jésus qui est l’icône parfaite de la Miséricorde du Père.
    Si Jésus a "donné sa vie en rançon pour la multitude" (Mt 20,28), c’est, d’une part, parce qu’il existe un vrai drame du péché mais, d’autre part, c’est parce que l’amour de Dieu pèse davantage sur la balance que tous les péchés de la multitude des hommes. Voilà ce dont il faut nous rappeler, ce qu’il faut considérer et méditer profondément pendant le jubilé de la Miséricorde.
    Le pari que fait aussi le pape, en ouvrant l’année de la Miséricorde, c’est que quiconque se sera découvert pécheur pardonné, changera de vie et cheminera dans l’espérance. Quiconque se sera découvert pécheur pardonné aura vraiment le désir, à son tour, de se faire serviteur de ses frères (cf. Mt 20,26). "Miséricordieux comme le Père" est la devise choisie par le pape François pour l’année de la miséricorde. Elle doit devenir notre devise : devenons comme Dieu. Lorsque les évêques de France ont lancé la démarche "diaconia 2013", nos paroisses ont été engagées à rédiger un projet diaconal, appelé "projet de solidarité". C’est un engagement signé par Mgr Turini le lundi saint, 14 avril 2014. Son départ pour Perpignan n’a pas rendu caduque cet engagement diocésain, qui est valable pour les paroisses mais aussi pour les mouvements et les services. Le jubilé de la miséricorde
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nous conduira à faire le point sur nos actes de miséricorde, accomplis dans la diaconie de l’Église, au service des plus misérables. L’Église, dans ses structures et dans ses manières de vivre le service fraternel de la charité doit être fidèle au Christ, icône de la Miséricorde du Père. Pour être vraiment miséricordieux comme le Père, chacun de nous et fraternellement tous ensemble, nous avons à prendre le temps de regarder attentivement comment le Père se comporte. C’est son amour paternel qui fait de nous des frères, non pas en théorie mais de manière vivante et qui se traduit par des actes.
    Pour comprendre comment imiter la miséricorde de Dieu, nous pourrons nous inspirer des grands modèles de l’histoire de notre Diocèse, comme sainte Fleur d’Issendolus, comme les pères fondateurs de communautés tournées vers les plus pauvres, le bienheureux Pierre Bonhomme ou Jean Liausu, ou même regarder dans les diocèses voisins, comme par exemple sainte Emilie de Rodat à Villefranche de Rouergue, où Mgr Fonlupt nous invite à venir en pèlerinage pendant cette année jubilaire.
    Nous pouvons aussi penser au bienheureux Alain de Solminhac, dont il y a un beau reliquaire dans cette cathédrale. Nous pouvons penser à tout son engagement pour les pestiférés mais aussi à ses efforts pour améliorer les mœurs de son temps. Sa pédagogie insistait beaucoup sur la résolution et l’engagement : s’engager à prier un certain temps chaque jour, promettre à Dieu de ne plus se battre en duel, s’engager à ne plus pratiquer l’usure qui provoquait le sur-endettement des paysans. C’était l’époque où l’évêque d’ici était en même temps baron et comte de Cahors ce qui, à défaut de laïcité, lui permettait d’essayer d’encadrer les mœurs. Il n’y arrivait pas autant qu’il voulait, mais il était reconnu pour avoir autorité en cela. Les temps ont changé mais nous pouvons tout de même lui demander d’intercéder pour nous, pour que nous sachions tenir nos bonnes résolutions quand nous aurons fait l’expérience de la miséricorde de Dieu.
    C’est une grâce de tenir nos bonnes résolutions. Reconnaissons-le, la fidélité à la parole donnée, dans notre monde en perpétuel mouvement où la vie s’accélère, est devenue difficile. La miséricorde n’est pas un alibi face aux rechutes de nos péchés. Cette miséricorde-là serait une caricature et un mépris de Dieu qui, Lui, est toujours fidèle. Mais il est vrai que Dieu ne nous écrase pas avec sa fidélité. Il nous relève et offre sa fidélité en rançon contre l’infidélité de la multitude.
    J’ai dit que les temps ont changé depuis Alain de Solminhac. En effet, plus personne n’attend sérieusement de l’Eglise qu’elle lui dicte sa conduite. Nous pensons tous être devenus des adultes et chacun entend mener sa vie librement. En fait, cette liberté revendiquée est plus réellement celle de nos blocages, de nos fragilités, de nos incapacités à faire le bien que nous voudrions.
    Toutefois, le respect de la singularité des itinéraires est devenu d’autant plus incontournable que la globalisation du monde remet en cause chaque jour les modèles de vie tout tracés. Presque plus personne n’a une vie rectiligne, sans accroc, une vie calme et paisible, sans bouleversements imprévus. Je ne crois pas me tromper en disant que dans toutes les familles, aujourd’hui, on voit surgir le divorce, le chômage, la dépression nerveuse ou le burn out et toutes sortes d’autres ruptures capables de briser les élans les plus sincères et les plus généreux. Cette instabilité générale rend impossible, même si on le voulait, de dicter des comportements écrits d’avance.
    Les commandements de Dieu, pourtant, demeurent toujours actuels. De fait, ils ne disent pas ce qu’il faut faire comme une recette de cuisine, mais ils enseignent ce qu’il faut
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éviter de faire : ne rien idolâtrer hormis Dieu, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas être infidèle, ne pas parler faux, ne pas convoiter le bien d’autrui, etc. Restent comme seules consignes positives : aimer Dieu et le prochain, honorer ses parents et sanctifier du jour du Seigneur. Ce sont des principes exigeants mais très souples. Chacun peut les mettre en pratique avec une infinité de modulations. A la lumière de la Parole de Dieu, l’Eglise accompagne vers la rencontre avec Jésus-Christ. Elle est la communauté qui cultive une écoute patiente de la Parole de Dieu, sous l’inspiration du Saint-Esprit. Cette attitude éclaire les cœurs et offre un bel avenir à chacun. Elle rend libre, elle favorise le dépassement de soi. Le péché, c’est l’art de bloquer les situations, mais la Miséricorde de Dieu est là pour les débloquer. Elle ouvre devant toute personne un chemin. Un chemin qui ne vient pas d’un destin écrit d’avance, qui ne va pas normaliser ni uniformiser ni noyer dans une masse informe ce que Dieu a voulu unique et singulier. C’est le chemin toujours ouvert par la confiance que Dieu nous fait et par son désir de faire rayonner sur chacun de nous sa sainteté —c’est-à-dire la plénitude de sa beauté rayonnante.
    Ce chemin, tant que nous sommes pécheurs, restera inconfortable. La foi nous bouscule comme l’écrivait Maurice Clavel : "la foi rétablit notre être en le bousculant" (cf. Ce que je crois, p. 190). Le chemin de la foi interdit de rester sur place au prétexte que : c’est fichu pour moi, au point où j’en suis, je ne peux plus avancer. La foi vivante est une communication de la miséricorde du Père : s’être laissé aimer par le Père miséricordieux, c’est accueillir en soi le flot amoureux de la miséricorde et devenir "miséricordieux comme le Père". Comment le Père est-il miséricordieux ? Le Père renonce à une dimension de sa légitime autorité paternelle en livrant son Fils premier-né à la haine et à la violence de ses autres fils, créés mais non pas engendrés, humains mais non pas divins. En livrant son Fils qui n’est qu’Un avec Lui, en rançon pour la multitude, le Père miséricordieux inverse les valeurs. Il bouscule totalement l’ordre du réel en mettant la divinité à l’épreuve de l’humanité pécheresse. C’est pourquoi il est en droit de nous enseigner par son Verbe fait chair que celui qui veut devenir grand sera le serviteur, se fera même l’esclave de tous. C’est ce qu’Il a fait Lui, en son Fils pour nous faire miséricorde. L’œuvre de service par laquelle nous essayons de nous mettre à l’unisson de la misère de nos frères est donc exactement l’œuvre de miséricorde car elle imite l’œuvre de Dieu.
    La miséricorde du Père ne tolère ni le mal ni l’injustice qui doivent être combattus. Mais la Miséricorde du Père en paie le prix, pour la multitude des pécheurs. De ce fait, il nous appelle à porter nous aussi sur tous les pécheurs un regard d’amour : nous leur sommes semblables, de façon concrète par notre propre complicité avec le mal, mais surtout par notre propre besoin d’être rachetés par Jésus et de marcher à sa suite sur le chemin de l’humilité et du service de tous nos frères. Même s’ils m’apparaissent dissemblables, étranges ou dangereux, si je désire être miséricordieux comme le Père, je dois me faire leur serviteur, à la manière de Jésus-Christ, donnant sa vie par amour pour les pécheurs.
    Pourquoi est-ce le moment favorable pour un jubilé de la Miséricorde ? Peut-être simplement parce que Dieu est Dieu et que ce qui lui plaît le plus, c’est d’exercer sa miséricorde (cf. Catéchèse du pape François du 9 décembre 2015).
Amen.

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