Le Brésil... après élections (oct. 2018)

“Qui l’eût dit ?... Qui l’eût cru ?..." Ce dimanche 28 octobre restera marqué dans l’histoire du Brésil.

Jour de gloire ? Jour de deuil ? Depuis longtemps ces élections suscitaient "craintes et tremblements" tellement la dispute était grande entre deux camps totalement opposés par leur manière de penser et d’agir. Depuis la mise à l’écart de la Présidente Dilma, démocratiquement élue en 2016, et ensuite le procès, plus que suspect, de Lula, la voie était ouverte pour les forces d’oppositions toujours vivantes et en quête de pouvoir.

Le Brésil vient donc de se donner un nouveau Président, élu grâce aux manœuvres des vieilles oligarchies. Malgré la route ouverte par la jeune Constitution de 1988 et les efforts d’une démocratie naissante, les “vieux démons” attendaient le moment opportun pour refaire surface et reprendre leurs privilèges menacés !

La déception est grande chez tous ceux qui luttent pour un Brésil de Justice et de Paix : hommes et femmes qui travaillent politiquement pour le droit des peuples sur leurs terres (Indiens, paysans...), pour le respect des races et des cultures, pour la mise en œuvre de politiques sociales en faveur des populations urbaines marginalisées et des jeunes, etc. Beaucoup de Chrétiens sont actifs dans ce travail de promotion et de lutte pour la Vie.

Comment en est-on arrivé à ce point de rupture et retour en arrière ? “Difficile démocratie !, disait D. Waldyr, évêque de Volta Redonda (Rio de Janeiro), dans un peuple depuis longtemps enraciné dans des situations de dépendances et d’aliénation !” Les analyses de conjoncture vont se multiplier pour comprendre et commenter ce qui tombe sous l’évidence : difficile démocratie pour ce peuple brésilien, dépendant en masse des grands monopoles de formations et d’informations (TV, radios, etc.), aux mains de ceux qui s’organisent pour le garder sous leurs férules et leurs dictats. Difficile de sortir d’une culture d’esclavage ! Paulo Freire avait essayé en son temps de construire un nouvel avenir pour aider le peuple à penser et grandir en humanité. Il s’est vu expulsé du Brésil, manu militari, pour aller travailler ailleurs. Grand pédagogue dont le Brésil avait besoin et que beaucoup ici méconnaissent !

Il faut aussi parler des “Eglises” et de la religion, pour comprendre, aujourd’hui encore, ce qui se vit en Amérique Latine. Au Brésil, la religion fait partie de l’histoire, depuis 500 ans, avec l’arrivée des Portugais très catholiques. Au cours des siècles, “politique et religieux” ont tissé des liens pour conduire l’histoire de ces peuples et servir les intérêts de leurs nouveaux maîtres. Ce temps a passé. A partir du Concile Vatican 2 et des Assemblées des Evêques d’Amérique Latine (Medellin, Puebla..), l’Eglise a pris un virage pastoral révolutionnaire : priorité aux petits et aux pauvres ! L’Eglise entrait ainsi en “politique” d’une manière nouvelle et inattendue ! Des prêtres “Fidei donum” étaient appelés pour soutenir ce nouvel élan missionnaire. Les difficultés aussi allaient venir, hors Eglise et dans l’Eglise ! Le CEFAL (Comite France Amérique Latine) "garde mémoire" de cette belle histoire. Les chrétiens ont avancé lentement dans cette pratique ecclésiale renouvelée et politiquement engagée. Cet engagement allait soulever enthousiasme et résistance. L’Eglise s’est vue suspectée dans ses choix pastoraux et ses prises de positions pour la Justice et le Droit. Pour quelques uns, La Croix a été au rendez-vous. Pour beaucoup, la peur et le doute ont fait marquer le pas. Le temps a passé et une autre génération de chrétiens est arrivée. Malgré l’appel des Evêques et du Pape François, ce courageux dynamisme des Chrétiens pour la Justice et la Vie, s’est essoufflé pour laisser place à d’autres courants religieux plus rangés et désengagés.

Dans ce contexte ecclésial mouvementé, on remarquait aussi depuis longtemps l’avancée grandissante des Eglise dites “évangéliques”, aux mains de prédicateurs provocants, soutenus par des courants politiques obscurs, prêchant pour le peuple crédule un avenir meilleur dont ils avaient le secret. Le président élu se présentait très lié à ces nouvelles “Eglises pentecôtistes”, toutes présentes et agissantes dans les masses populaires des grandes villes, dominées par la violence et la drogue. Dieu devenait le “grand maître” et allié sûr pour remettre ordre dans les villes et dans les cœurs et tirer la politique des scandales et corruptions.

Les stratégies pour reprendre le pouvoir se sont ainsi organisées, imposées et elles ont gagné. Le choix est fait et les conséquences viendront. On les connait déjà : priorité donné au “capital”, avancée du latifúndio et agro-négocio, remise en question des territoires indiens, libéralisme absolu, criminalisation des mouvements populaires, militarisation grandissante, etc. Nos équipes de Pastorale de la Terre (CPT) et Pastorale des Indiens (CIMI) sont directement visées. Le signe de la “Croix” plane de nouveau sur cette terre de Santa Cruz !

Il faut recommencer et trouver un nouveau souffle pour continuer la longue marche. Les appels à l’Espérance se multiplient, nourris de la riche expérience du Peuple de Dieu. On continue à lire et méditer les Prophètes. La Parole de Dieu est toujours vivante et ouvre les horizons pour un “autre monde possible”. L’Espérance continue à habiter et à faire vivre nos Communautés chrétiennes, “minorités abrahamiques”, fleurs sans défense, mais portées par le souffle de l’Esprit. On entend encore les paroles de Dom Helder Camara, dirigées à son peuple, au temps difficile de la dictature : “Laissez-moi allumer 100 fois… 1000 fois… des millions de fois… l’Espérance que les vents contraires et forts persistent à vouloir éteindre !” Saint Oscar Romero, Evêque de El Salvador, aujourd’hui canonisé, disait : “Vous pouvez détruire beaucoup de roses, mais le printemps vous ne le tuerez pas !"

Vient le temps de l’Avent. Le prophète Isaïe nous parlera du Serviteur souffrant et fidèle, porteur d’Espérance et de Vie pour son peuple mal mené.
La lumière et l’Espérance de Noël nous précédent et nous accompagnent.

Avec vous dans la prière et la fidèle amitié.

Père Jacques Hahusseau

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