L’orgue de Marcilhac sur Célé

400 fidèles s’étaient donné rendez-vous pour une journée baignée de lumière et de grâce pour l’inauguration de l’orgue de l’abbaye

« Plus tard, vous vous souviendrez Monseigneur, de l’orgue de votre première messe à Marcilhac. Un instrument sacré restauré par le facteur d’orgue, Gérard Bancells, et qu’une paroisse anglaise a eu la grande générosité de nous confier », déclarait l’abbé Guillaume Soury-Lavergne, curé de la paroisse de Cajarc, avant de remercier les Amis de l’église Saint-Pierre de Marcilhac pour leur travail acharné et les 880 donateurs de tous horizons.

« Éveille-toi orgue sacré, entonne la louange de Dieu, notre créateur et notre Père ». Alors, dans un jeu de musicalité et de tonalité, la sonorité de l’orgue confié au maestro italien Giorgio Revelli a répondu aux paroles de l’évêque, en parfaite harmonie.

« Il y a tout au long de notre vie des fausses notes, disait Mgr Camiade, à l’assemblée. Mais notre église de campagne est formée de pêcheurs qui tentent d’avancer sur le chemin, dans la foi ».

En ce temps de Pâques, les familles réunies ont partagé cette célébration inaugurale, plutôt rare dans une paroisse, avec un bel enthousiasme. Sous la conduite de Christiane Gentou, l’ensemble vocal de Cajarc, a glorifié ce fraternel instant. Puis à l’issue de la messe, chacun était convié à un autre moment de partage autour d’un verre de l’amitié, dans les ruines de l’abbaye de Marcilhac sur Célé.

Dans l’après-midi, le maestro Giorgio Revelli, de renommée internationale, s’installait de nouveau au clavier de l’orgue, pour un remarquable concert, et un nouvel instant de communion entre cet instrument et le public lotois.

Le père Guillaume Soury-Lavergne qui, dans quelques mois, prendra la responsabilité de la paroisse de Figeac, ne délaissera pas son abbaye, pour laquelle il est prêt à relever le défi d’une plongée dans le Recel de Marcilhac. Ce sera encore une fois pour la bonne cause.

Texte de l’homélie prononcée ce dimanche 10 avril - 3° dimanche de Pâques C - à l’occasion de la messe de bénédiction des orgues

"... et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône [de Dieu]" (Ap 5,11).

Comment visualiser cette multitude de voix angéliques que l’auteur de l’Apocalypse dit avoir entendues dans sa description de la liturgie céleste ?

La tradition liturgique de l’Église a depuis longtemps évoqué ici-bas sur la terre ce qui nous est révélé dans les Écritures du bonheur du ciel, du bonheur de la vie auprès de Dieu. La vie auprès de Dieu commence d’ailleurs, pour qui ouvre son cœur, dès ici-bas, dès aujourd’hui. La liturgie de l’Église nourrit cette vie éternelle déjà commencée.

Depuis les XI° et XII° s. l’orgue soutient la liturgie chrétienne. La présence en lui du souffle est une image de l’Esprit Saint à l’œuvre qu’on ne voit pas mais dont on entend la voix harmonieuse (cf. Jn 3,8). Le jeu des sonorités diverses rappelle que la multitude des voix aussi bien célestes que terrestres peut concourir à une même louange adressée à Dieu. Bien sûr, le risque est toujours d’en rester à la seule émotion esthétique, sans percevoir la symbolique du chant de l’orgue, ce que le rituel de la bénédiction des orgues met au contraire bien en évidence.

A la lumière des lectures de ce 3° dimanche de Pâques, nous pouvons ouvrir nos cœurs à cette dimension de louange du Dieu sauveur qui est portée par la musique belle et multiforme du nouvel orgue de Marcilhac. Nous le faisons avec une grande reconnaissance envers tous ceux qui ont œuvré pour la réussite de cette installation d’un orgue à l’abbaye. Il a fallu un concert harmonieux d’audace, de dévouement et de générosité !

La multitude des anges chantant les louanges du Seigneur dans le ciel —comme l’Apocalypse nous la décrit— est l’archétype de l’Église. La constitution du concile Vatican II sur l’Église nous l’a rappelé : l’Église a été "annoncée en figure dès l’origine du monde" (Lumen Gentium § 2). A l’origine du monde il n’y avait pas encore les hommes. Ce sont les chœurs angéliques qui ont reflété dès l’origine du monde la beauté, la gloire du Créateur et, depuis, chantent ainsi ses louanges. Les anges annoncent dès lors la vocation de l’Église à rendre gloire à Dieu. Cette vocation de l’Église se poursuivra jusqu’à la fin des temps jusqu’à ce que tout l’univers sauvé par Jésus-Christ puisse louer Dieu d’un seul cantique, le chant nouveau et parfait du bonheur de la Vie éternelle.

Le chant évoqué dans l’Apocalypse est orienté vers "l’Agneau immolé", digne de toute puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. Cet agneau immolé est le Christ Jésus, l’innocent condamné à la place des coupables, celui qui a pris sur lui le péché du monde pour nous ouvrir le sceau de la Vie éternelle. Ainsi est le chant de l’Église, tout orienté vers le Christ, les regards fixés sur Jésus, sur Celui qui a donné sa vie pour nous et qui est ressuscité.

L’orgue céleste qu’est, en quelque sorte, la voix d’une multitude d’anges est donc la figure de l’Église qui oriente ses désirs et l’élan de son cœur vers le Christ. Il oriente le mouvement de notre âme vers le Sauveur. Vers celui-là même qui est apparu aux Apôtres après sa Résurrection et a partagé avec eux le repas de poissons grillés sur le bord du lac (cf Jn 21,12).

Nous avons parfois du mal avec la vision céleste de l’Église. Nous savons bien que l’Église est formée de pécheurs. Saint Pierre lui-même ne s’exclut pas de la catégorie des pécheurs : dans l’évangile d’aujourd’hui, on le voit enfiler d’urgence un vêtement dès qu’il reconnaît le Christ ressuscité (Cf. Jn 21,7) pour, tel Adam après le premier péché (cf. Gn 3,7), exprimer sa honte d’être nu.

Le Concile Vatican II a eu le courage de dire que l’Église "enferme des pécheurs dans son propre sein, elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement" (LG § 8). Dans nos petites communautés rurales nous voyons aussi cette fragilité de l’Église par la difficulté à se rassembler, par la tendance à raviver au moindre prétexte de vieilles querelles ou à se replier dans la peur de toute intrusion.

Il y a donc des fausses notes dans notre musique et notre chant de louange se module régulièrement en chant de pénitence. Les communautés chrétiennes doivent sans cesse se réformer. Mais, tant que ce monde est monde, l’Église restera, que nous le voulions ou non, cet "hôpital de campagne" dont parle le pape François : formée de pécheurs qui s’efforcent de se convertir et d’avancer patiemment sur un chemin de sainteté et de guérison.

L’Église travaille avec patience et parfois sans succès visible, au défi de la réparation de la fraternité humaine. Mais les baptisés avancent avec confiance car ils se savent tous appelés à offrir un jour leur souffle au concert des sonorités angéliques qui chantent le bonheur d’être aimés de Dieu gratuitement.

Devant le Trône divin, se trouve l’agneau immolé (Ap 5,6). En cet Agneau ensanglanté, le monarque des cieux se présente blessé par la violence de ses sujets. Il s’est placé délibérément du côté des plus fragiles, aux côtés de ceux qui connaissent l’échec comme les deux larrons crucifiés autour de lui. Mais le don de sa vie a un objectif : réconcilier le monde, ouvrir aux hommes la possibilité nouvelle d’un bonheur éternel dans la paix de son Royaume.

Ce but n’est pas réalisable dans l’histoire terrestre que nous connaissons. Mais c’est pourtant ici-bas que se prépare cette vie éternelle. Celle-ci est anticipée en nous par l’expérience de la joie. Chaque fois que nous nous associons à la louange de "Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre [1] et sur la mer, et de tous les êtres qui s’y trouvent" (Ap 5,13) et que nous nous convertissons de tout notre cœur pour œuvrer à ce projet de réparation de la fraternité humaine, chaque fois, la Vie éternelle est déjà commencée.

Ce n’est pas pour rien si Jésus Ressuscité invite ses disciples à un repas : la vie éternelle est une convivialité ou elle n’est rien. Contempler et louer Dieu ne peut être une attitude solitaire. Cela c’est l’enfer, qui est enfermement en soi-même, rumination éternelle de nos frustrations. Contempler et chanter le Dieu Miséricordieux, c’est, au contraire, ouvrir notre vie à tous ceux pour qui le Christ a livré sa vie.

S’il y a 7 disciples présents lors de la 3° apparition du Ressuscité, ce n’est pas par hasard : ce chiffre symbolique fait référence à la totalité de la communauté des sauvés appelés à se rassembler.

Ainsi, le rôle de la multitude d’anges qui chantaient autour du Trône de Dieu (Ap 5,11) est-il tenu ici dans l’évangile par la figure des sept disciples qui partagent le repas gratuit du Christ. N’est-il pas paradoxal que le Seigneur ait demandé aux disciples s’ils avaient de quoi manger alors que, finalement, c’est lui-même qui fournit l’intendance et prépare le repas. Tout est prêt, mais il leur demande encore "apportez de ce poisson que vous avez pêché" ?

Ce paradoxe exprime le double aspect de notre Salut :

- Dieu donne tout gratuitement et, pourtant,

- il attend notre réponse.

Notre participation n’a pas d’utilité pratique ni matérielle. Elle n’est pas toujours aussi efficace que nous voudrions, mais elle témoigne de notre générosité et des dispositions de notre cœur à entrer dans la convivialité éternelle du Royaume de Dieu.

La miséricorde de Dieu est gratuite, mais elle a besoin de notre bonne volonté, de tout notre engagement, de tous nos efforts. Ainsi, elle nous permet d’entrer dans une relation vraie et heureuse avec Jésus comme avec toute la fraternité humaine et, grâce à cette communion profonde dans son amour, de mettre notre chant au diapason de la louange éternelle de Dieu son Père.

Amen. Alleluia.

Quelques images de cette journée sur M6

Site de l’abbaye

Notes

[1Toute allusion à un projet de plongée spéléologique est totalement fortuite.

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