Dimanche 11 octobre 2015 Carmel de Figeac Homélie de Mgr Camiade

Mes sœurs, chers amis,

Le récit de la rencontre de Jésus avec la femme samaritaine à l’entrée de Sychar (aujourd’hui Naplouse), au puits de Jacob, nous présente une femme qui est occupée par sa vie ordinaire et vient puiser de l’eau pour boire. Mais son ordinaire la conduit à une rencontre Jésus. Elle ne sait pas encore qui il est, ni qui la sollicite et lui demande à boire. Elle a sans doute soif, mais ce qui va changer son existence, c’est qu’elle se trouve face à un être infiniment plus puissant qu’elle et qui, pourtant, va manifester qu’il a plus soif encore qu’elle : "donne-moi à boire" (Jn 4,7). Ces mots mettent au centre de la Bonne Nouvelle de Jésus cette vérité essentielle qu’a si bien exprimée saint Jean de la croix : “si l’âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche davantage” (Vive flamme, Strophe 3, verset 3, p. 773).

Or, cette vérité sur Dieu, reconnaissons que nous ne la connaissons pas bien. Nous la négligeons trop souvent. N’avons-nous pas tendance a être déçus de ce qui nous arrive, à nous plaindre bien souvent de nos manques matériels, de notre soif inassouvie de bonheur ? Oui, bien sûr, nous avons soif de toutes sortes de choses qui nous manquent, notre souffrance est de voir l’imperfection et la violence qui troublent la vie de notre terre. Sans cesse on nous renvoie l’image de la guerre, l’image des désordres affectifs, relationnels et sexuels, l’image de la misère et de l’égoïsme humain. Que désirons-nous le plus ? Cherchons-nous vraiment Dieu ? Oui, probablement, mais ce désir n’est-il pas trop souvent étouffé par des centaines d’autres préoccupations qui nous aveuglent et se présentent à nous, à chaque fois, comme faussement plus urgentes ?

Pourtant, si nous tendons l’oreille de notre âme, est-ce que nous n’entendons pas, nous aussi, Jésus qui nous prie : "donne-moi à boire" ? “ si l’âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche davantage”.

Cette vérité sur le Christ trouve son expression la plus forte sur la croix quand il dit "j’ai soif" (Jn 19,28). Mais elle a commencé à se révéler dès que les premiers humains ont péché et que Dieu se met à chercher l’homme et demande "où es-tu ?" (Gn 3,9). Aujourd’hui encore, nous pouvons entendre, chacun de nous, au fond de notre âme ce cri silencieux de Dieu qui me demande : où es-tu ?

C’est peut-être, au fond, juste pour entendre ce cri que Thérèse d’Avila a enseigné qu’il faut faire oraison, c’est-à-dire prier en silence, sans rien dire. Elle dit qu’il faut faire oraison avec une très ferme détermination. Elle-même a fait oraison, deux heures au moins d’oraison chaque jour, avec une fidélité totale, même pendant les années où sa prière était la moins savoureuse et où elle ne parvenait à tenir cette fidélité qu’en comptant et recomptant les clous sous la semelle de la sœur qui était à genoux devant elle. Mais elle avait compris et elle l’a enseigné magistralement, que l’oraison consiste en "un commerce d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec Dieu dont on sait qu’il nous aime" (Autobiographie, ch. 8). La motivation de l’oraison est toujours la même : c’est de savoir [par la foi] que Dieu nous aime, c’est de savoir [par la foi] que Dieu nous attend, c’est de savoir [par la foi] que Dieu désire ma présence dans la prière. L’oraison n’est qu’une réponse au désir de Dieu qui nous veut attentifs, disponibles à son amour.

Notre culture nous porte tellement à être centrés sur nous-mêmes que nous oublions le désir de Dieu ! Quand on nous demande pourquoi nous venons à la messe, ne nous est-il jamais arrivé de répondre que c’est parce que cela me fait du bien ? Mais ce n’est pas la bonne raison. Parfois, d’ailleurs, cela peut nous fatiguer ou nous ennuyer de prier. Certains jours les cantiques peuvent nous casser les oreilles ou le silence méditatif peut nous angoisser. Or, au fond de nous, nous le savons et nous devons en témoigner : c’est parce que Dieu nous attend, parce qu’Il désire être aimé de nous plus que nous-mêmes, parce qu’il nous dit "donne-moi à boire" que nous venons le prier. Mes sœurs, c’est peut-être votre seule raison de vivre au carmel : c’est parce que Jésus a soif de votre disponibilité à vous laisser aimer par lui dans ce lieu. Et, du coup, parce que vous vivez cela et uniquement cela, vous nous le rappelez, vous nous faites comprendre jusqu’à quel point Dieu nous aime nous aussi et nous attend nous aussi, Il attend que nous nous offrions à son amour. Une fois qu’on a compris cela et, vraiment, merci mes sœurs de nous y aider ; une fois qu’on a été bouleversé par cela, on n’a plus aucune excuse valable pour négliger la prière. Sauf, bien sûr, si nous sommes réellement appelés de façon urgente par un pauvre en qui nous allons servir Jésus, en qui nous allons apaiser la soif de Jésus, par charité. Mais ce geste devient alors une prière et il prend sens parce que nous gardons une habitude de prière, une relation vivante et personnelle avec le Seigneur. "Aimons-nous les uns les autres parce que l’amour vient de Dieu" dit saint Jean. La charité c’est cet amour pour nos frères qui découle principalement de l’amour divin. Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu dit aussi ce même passage de la lettre de saint Jean, mais c’est Lui qui nous aimés et a envoyé son Fils, victime offerte pour nos péchés.

Sainte Thérèse de l’enfant Jésus et de la sainte face avait tellement bien compris cela, elle aussi, en son époque terrible où la plupart des chrétiens pensaient qu’il fallait faire beaucoup d’œuvres et beaucoup de dévotions pour réparer le mal du péché. Mais non, c’est Jésus qui a fait cela. Et il l’a fait par amour. Seul l’amour peut réparer le manque d’amour. Ce n’est qu’en recevant cet amour, en nous laissant aimer que l’on peut réparer quelque chose d’aussi grave que le péché qui nous a coupés de Dieu et nous a rendus malades, égoïstes, violents, déséquilibrés dans notre affectivité, injustes entre nous, gaspilleurs et destructeurs pour la planète, etc. L’année de la miséricorde voulue par le pape François a pour but de nous faire reprendre conscience que Dieu n’attend qu’une chose, c’est que nous nous laissions aimer et bénir par Lui dans son Église. Ce qui nous freine, c’est que nous voulons trop conquérir par nous-mêmes cette bénédiction, nous pensons peut-être que nous y avons droit, que nous l’avons méritée ; nous sommes peut-être tentés de construire des défenses psychologiques pour nous justifier nous-mêmes. Mais c’est plutôt notre misère qui est le lieu où Dieu peut nous aimer le plus.

La petite sainte Thérèse avait parfaitement compris que les hommes ne se laissent pas beaucoup aimer par Dieu, aussi, elle a désiré compenser cela : "Donnez-moi cet amour, je consens à être victime d’amour, c’est-à-dire à recevoir tout l’amour que les autres ne reçoivent pas, parce qu’ils ne vous laissent pas les aimer comme vous le voudriez" (cf. p. Marie-Eugène, Ton amour a grandi avec moi. Un génie spirituel, Thérèse de Lisieux, p.48). Elle écrit : "je vais laisser le bon Dieu m’aimer tant qu’il voudra" (manuscrit A 84 r°).

Quand on a reçu cette sagesse qui consiste à vivre principalement de l’amour que Dieu a pour nous, plus rien ne compte, comme dit le livre de la sagesse : "à côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse, je ne la compare pas aux pierres précieuses ni à tout l’or du monde qui n’est que sable auprès d’elle... sa clarté ne s’éteint pas".

"Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle" (Jn 4,14). Amen.

Mgr Laurent Camiade

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