900 ans de la cathédrale Saint-Etienne de Cahors Texte pastoral

Perspectives pastorales

L’année 2019, du 12 mars au 8 décembre, est le jubilé des 900 ans de la cathédrale de Cahors. La cathédrale, comme son nom l’indique, est l’église qui abrite la cathèdre, c’est-à-dire le siège de l’évêque, pasteur propre du diocèse. L’église-cathédrale est tournée vers l’ensemble du diocèse. Elle a été construite pour rassembler des fidèles venant d’un vaste territoire. Elle est aussi un témoin de l’histoire et fait partie de l’identité de la ville et du territoire du Lot.

Souvent, des personnes s’y rassemblent, provenant de beaucoup plus loin que la ville où elle se trouve. D’autres ont plus de mal ou ont perdu l’habitude de sortir de leur cadre habituel ou de leur rythme de vie éclaté pour prendre le chemin multiséculaire du rassemblement d’un peuple appelé par Dieu à ne former qu’un seul cœur et une seule âme dans le Christ par le moyen de la célébration liturgique.

Chaque année, notre cathédrale est le lieu d’événements particuliers : les ordinations, les ouvertures ou fermetures de jubilé, les messes chrismales. J’ai personnellement beaucoup de joie, une joie indescriptible, à célébrer les grandes fêtes comme Noël, Pâques, Pentecôte dans l’église-mère de notre diocèse.

Qu’y cherchez-vous ? Qui cherchez-vous ?

Beaucoup de personnes entrent chaque année dans la cathédrale de Cahors. Toutes ne vont pas jusqu’à la louange de Dieu. C’est là un point de liberté inviolable. Les catholiques respectent totalement ceux qui professent d’autres convictions religieuses ou ceux qui choisissent de ne pas croire ou de ne pas nommer le mystère de Dieu. La foi est un acte libre ou elle n’est plus la foi. Cet acte libre est possible par un don de Dieu qui le précède mais nul n’est jamais contraint de poser l’acte de foi. Qui entre dans la cathédrale est libre de sa recherche spirituelle propre.

Au fond, cette quête est celle des questionnements les plus intimes du cœur de l’homme : comment suis-je regardé par mon Créateur ? Quelle image puis-je me faire de Lui ? Qu’attend-t-il de moi ? Où vais-je ? A quoi bon cette vie si elle ne fait pas l’objet d’un don ? Même ceux qui n’ont pas connu ou accueilli la révélation biblique peuvent se poser ce genre de questions.

Chercher l’autel.

L’autel consacré dans notre cathédrale il y a 900 ans a paraît-il disparu dans le Lot du côté d’Arcambal. Des plongeurs espèrent encore l’y retrouver. La quête de l’autel inspire croyants et non-croyants. Le centre de gravité spirituelle d’une église comme de beaucoup de temples religieux anciens est l’autel. Les regards s’orientent naturellement vers lui. Pour les catholiques, l’autel est le lieu du sacrifice eucharistique, lieu où l’offrande spirituelle de toute l’Église se concentre pour être offerte par le Christ à son Père. Chercher l’autel du regard quand on entre dans une église, est-ce déjà, consciemment ou pas, chercher le Christ ? A chacun de voir.

La quête de l’autel perdu au fond du Lot est une quête qui parle à tout le monde même sans avoir décrypté toute sa symbolique. Car d’un point de vue anthropologique, le lieu du sacrifice est quelque chose de profond qui a des résonances archaïques s’exprimant diversement dans beaucoup de religions.

Chercher le Christ.

Selon les mots éloquents d’une préface du temps pascal, Jésus-Christ « est à lui seul le prêtre, l’autel et la victime » de ce sacrifice très singulier, non sanglant, qu’est la célébration de la messe. L’autel représente le Christ et c’est pourquoi nous nous inclinons devant lui, les clercs revêtus du sacrement de l’ordre le vénèrent d’un baiser et l’encensent. La consécration de l’autel consiste à oindre toute sa surface de saint-chrême (huile de consécration) pour bien signifier qu’il symbolise le Christ, c’est-à-dire celui qui est oint. Du point de vue de la foi, l’autel est plus important que toute relique, même une relique christique comme la Sainte-Coiffe. Celle-ci, nous rappelle le réalisme de l’incarnation, de la mort et de la résurrection du Sauveur. Mais c’est sur l’autel, pendant la messe et depuis l’ambon pendant la liturgie de la Parole que nous pouvons véritablement rencontrer le Christ ressuscité qui se donne à nous, nous nourrit et transforme nos cœurs à son image.

Même pour des chrétiens, l’image que nous nous faisons de Dieu n’est jamais totalement claire. Nous sommes toujours à la recherche du Christ. Nous sommes toujours en quête de transformation intérieure. Nous peinons parfois à dépasser nos représentations violentes d’un Dieu inquisiteur que nous aurions déçus. Comme le jeune homme riche de la parabole, nous avons pu nous éloigner du Père et ne revenir vers Lui qu’en marchandant : « je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme un de tes ouvriers » (cf. Lc 15,18-19). Mais Dieu a tant aimé le monde qu’il s’est livré pour nous sauver en son Fils Jésus-Christ. Chercher le Christ, c’est s’exercer à recevoir plus pleinement cet amour inconditionnel.

Marcher vers la cathédrale.

La démarche de pèlerinage vers la cathédrale, de procession vers ou dans la cathédrale, l’effort pour s’y rassembler sont autant d’exercices spirituels qui nous apprennent à sortir de nous-mêmes pour entrer dans la logique plus large de la mission de l’Église. L’individualisme qui marque notre époque est un lieu de conversion, de combat spirituel pour chacun d’entre nous. La culture dans laquelle nous baignons nous pousse à mesurer toujours la valeur de nos engagements à partir de notre point de vue subjectif. L’Église, répandue sur toute la terre, dans toutes les cultures, nous invite à des déplacements intérieurs à travers nos déplacements extérieurs.

La cathédrale est en lien constant avec les diverses communautés paroissiales, les différents mouvements et services du diocèse et aussi avec tout groupe de catholiques en communion avec leur évêque. Venir à la cathédrale, c’est se rappeler que ma paroisse ou mon groupe n’est pas une réalisé isolée. Cela m’ouvre le cœur à d’autres personnes, d’autres expressions de la même foi, à une vision plus large. Cela nous apprend à regarder l’autre différent comme un don de Dieu.

La centaine d’évêques de Cahors.

Notre diocèse est plus ancien que sa cathédrale actuelle et a connu près d’une centaine d’évêques. Il a été marqué par la sainteté des premiers évêques dont les noms émergent d’une histoire enfouie dans la mémoire confuse de l’Antiquité comme saints Genulphe et Sébaste dont on ne sait rien. Mais l’histoire est plus assurée à propos des saints Florent, Alithe, Morillon, Urcisse, Rustique et Didier, aux V°, VI° et VII° siècles.

Plus tard, au XVII° siècle, notre cathédrale actuelle a été le siège du bienheureux Alain de Solminihac. Et de bien d’autres personnalités, comme son successeur Nicolas Sévin qui a su pérenniser remarquablement l’œuvre de réforme du bienheureux Alain. Plus récemment, je me souviens très bien de Mgr Joseph Rabine et Mgr Maurice Gaidon que j’ai rencontrés lorsque j’étais séminariste à Toulouse, loin de me douter que je leur succèderai un jour ! Mon prédécesseur immédiat, mon grand frère dans l’épiscopat, Norbert Turini, aujourd’hui transféré à Perpignan, m’a transmis avec beaucoup de bienveillance un flambeau qu’il avait eu beaucoup de joie à tenir pendant 10 ans. La chaîne continue du ministère des évêques est un signe dépassant de très haut les individus concernés. C’est la « succession apostolique », laquelle nous garantit une foi semblable à celle des Apôtres de Jésus, seule légitimité possible pour continuer Sa Mission.

Frères bien-aimés, nous pouvons être fiers d’habiter un diocèse aussi ancien, aussi longuement relié aux sources même de la vie de l’Église. J’aimerais que le jubilé des 900 ans de la cathédrale soit un moyen pour manifester le lien entre l’évêque et sa cathédrale, au service de la communion de tout le diocèse. Ce lien naît de l’amour du Bon Pasteur —Jésus-Christ— pour son peuple saint.

Des siècles de communion priante.

Nous ne sommes jamais seuls quand nous venons prier à la cathédrale car nous sommes entourés de la foule innombrable des saints, connus ou inconnus qui y ont prié depuis 900 ans.

L’Église est un corps vivant qui ne peut se renouveler qu’en puisant dans les « gênes » de ses origines la vitalité de son dynamisme actuel. Et les « gênes » de l’Église, ce sont les saints ! Notre Quercy est riche en saints et bienheureux : Annette Pelras, Fleur d’Issendolus, Ours, Namphaise, Géraud de Braga, Bertrand d’Aquilée, Christophe de Romandiola, Claude Caïx, Antoine Auriel-Constant, Jean-Gabriel Perboyre, Pierre Bonhomme. Sans compter tous ceux et celles dont Dieu seul connaît les noms.

Comme l’a redit le pape François, « L’Esprit Saint répand la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu. […] Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve » (Gaudete et exultate, nn. 6 & 14).

Des pierres assemblées par une foule d’hommes et de femmes.

Les pierres matérielles de l’édifice dont nous fêtons le jubilé de sa consécration sont des témoins de la solidité de la foi des bâtisseurs du Moyen-Age et de l’attachement fidèle des restaurateurs plus récents. Or, la signification profonde d’une église ou d’une cathédrale, est à relier à la vie des hommes, plus qu’aux pierres matérielles. « Soyez des pierres vivantes dans la construction de la demeure spirituelle » (1 P 2,5) disait l’Apôtre Pierre.

Il me paraît juste, en cette année jubilaire, de rendre hommage au dévouement des bâtisseurs de notre cathédrale. Qu’ils aient été architectes, maîtres maçons, menuisiers ou verriers, mécènes ou simples ouvriers, hommes ou femmes de corvée, apprentis ou bénévoles, ils se savaient interprètes, à travers leur art et leur ouvrage laborieux, de la foi vivante de tout un peuple. Avec ce peuple, ils comptaient sur Dieu pour surmonter les tentations et les drames de leur temps, pour combler et accomplir leurs joies et leurs espoirs. Ils étaient portés par l’enthousiasme d’une œuvre collective, facteur de cohésion humaine et rendant gloire à Dieu.

Des pierres héritées de la quête humaine de la transcendance.

Aujourd’hui, beaucoup voient dans un tel édifice sa valeur patrimoniale. Dans la ville de Cahors, la cathédrale est, avec le pont Valentré, le monument le plus visité et qui fait l’identité de la cité. Les habitants, quelle que soit leur religion ou leur philosophie, respectent et sentent l’importance de notre cathédrale. La notion même de patrimoine a une signification spirituelle, au sens très large que ce mot « spirituel » évoque à notre époque : cela rejoint l’homme dans sa dimension intérieure, dans sa capacité d’aimer, de s’émouvoir, de regarder plus loin que les seuls enjeux matériels de l’existence.

Le patrimoine est l’héritage reçu par une personne ou un groupe. C’est donc ce que nous ont légué nos pères. Ils nous ont légué non seulement un bel édifice de pierres mais, à travers ces pierres, un projet : celui de rassembler des hommes et des femmes dans une quête de transcendance. Le clocher qui pointe vers le ciel oriente les regards vers ce qui élève l’humain, vers ce qui le fait grandir et l’aide à devenir plus pleinement humain. Les verres multicolores des vitraux évoquent la beauté qui découle de l’intégration de la diversité des cultures lorsqu’elles se laissent éclairer par la même lumière. Les bâtisseurs de cathédrale nous ont transmis une lumière, reçue de Dieu, un appel à la communion, à la vie fraternelle, à l’accueil de tous, à la confiance et à l’exigence d’une vie juste et bienfaisante.

Des pierres qui chantent la beauté de la vie

La louange chantée dans notre cathédrale est donc appelée à s’unir à cette élévation libre et parfois muette du cœur de tant de nos frères humains pour se faire action de grâce pour leurs joies et leurs espoirs. La prière que nous conduisons est un cri vers le Père des miséricordes, pour le supplier d’aider ceux qui souffrent de l’isolement au fond de nos campagnes ou du mépris et du déclassement social, des douloureuses impressions d’être oubliés ou inutiles. Je pense en particulier aux personnes âgées, isolées dans des maisons dénuées de confort ou dans des établissements pour personnes dépendantes. Ces personnes-là peuvent rarement venir jusqu’à la cathédrale, mais elles y sont toujours présentes dans la communion de notre prière. Nous n’oublions pas ceux et celles qui pâtissent des querelles familiales, du rejet sous toutes ses formes, du chômage ou de la maladie. Nous implorons le Seigneur de leur ouvrir un avenir de confiance, de joie, d’amour et de vie. Malgré la haine, le mépris ou les douleurs, la vie vaut la peine d’être vécue. C’est aussi cette confiance dans la vie que chante notre clocher, lançant toujours vers le haut sa vibration de confiance et de joie : la vie est un don magnifique !

Rassemblés pour être missionnés.

De manière habituelle, la cathédrale est un signe de l’unité du diocèse. On pourrait même dire qu’elle a pour vocation d’être une vitrine de la vie de tout le diocèse. J’attache une grande importance à la prière des fidèles dans notre cathédrale, lors des messes, des temps d’adoration eucharistique, comme l’heure d’adoration du premier vendredi du mois pour les vocations, ou encore tous les moments de prière organisés ou individuels. J’invite les fidèles à prier pour le diocèse, pour les vocations, pour l’unité et la fécondité des familles, pour la paix en France et dans le monde.

L’accueil et la liturgie doivent être exemplaires dans la cathédrale. Et elle est aussi, par excellence, un centre constant d’envoi missionnaire. Ce n’est pas un lieu de rassemblement tourné vers lui-même, mais un centre dynamique qui vise à irriguer le diocèse par le souffle des prières, de son rayonnement, de sa dynamique d’envoi. Ainsi en est-il de toute liturgie. La messe, spécialement, tire son nom de l’envoi final : « ite missa est » qui se traduit « allez, c’est l’envoi », ou même, très précisément : « allez c’est la mission » ! Nous disons habituellement « allez dans la paix du Christ », mais cette paix est bien une mission : répandre la paix du Christ dans le monde qui nous entoure, dans notre vie quotidienne.

Que Notre-Dame de Rocamadour bénisse notre jubilé et nous obtienne la grâce, d’être toujours, comme elle, davantage dociles à l’Esprit Saint et à ce que Jésus, son fils, nous dira.

Cahors, le 2 février 2019, fête de la Présentation de Jésus au Temple

Mgr Laurent CAMIADE, évêque

(Ce texte pastoral de Mgr Laurent Camiade est accessible et téléchargeable ci-dessous)

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