Jeudi saint - Institution de l’Eucharistie

Jeudi 9 avril 2020
Homélie de Mgr Laurent Camiade

Ces temps-ci, la plupart des chrétiens ne peuvent pas participer aux messes. C’est là une épreuve pour toute l’Église, une source de frustration profonde.

Mais si Dieu permet cette situation, c’est peut-être aussi qu’Il veut s’en servir pour nous provoquer à réfléchir davantage à ce que nous faisons quand nous sommes à la messe. Ce soir du jeudi saint, ne manquons pas cette occasion.

Beaucoup de chrétiens participent de façon assez irrégulière au rassemblement dominical. Ne pas avoir le droit en ce moment d’y venir peut-il les faire réfléchir à la chance qu’ils ont d’habitude, mais dont ils ne profitent pas beaucoup ? On enregistre en ce moment des chiffres records de connexion aux messes diffusées sur internet ou sur les chaînes de radio et de télévision. Si nous avions le même taux de participation les dimanches ordinaires, les églises seraient mieux remplies ! L’avenir nous dira si ce réveil est réel ou fictif.

Même chez ceux qui viennent régulièrement à la messe, il se peut qu’il y ait parfois du laisser-aller, une certaine banalisation. C’est le revers des habitudes. Même de bonnes habitudes peuvent favoriser une forme invisible mais profonde de démobilisation intérieure. La démarche de la communion spirituelle qui seule aujourd’hui permet de s’unir en vérité à la messe célébrée dans sa paroisse oblige à se re-mobiliser intérieurement. Or, notre participation à l’eucharistie ne peut porter du fruit qu’avec cette mobilisation intérieure.

J’entend souvent des personnes dire qu’elles viennent à la messe par plaisir ou parce que c’est un grand moment d’émotion, parce que ça leur fait du bien. Rien de mal à tous ces effets possibles de la participation à la messe. Pourtant ce n’est sûrement pas la bonne raison pour y venir. D’ailleurs, beaucoup d’autres s’ennuient à la messe. Et ça, ce n’est pas grave, car la messe n’est pas un divertissement ni un spectacle.

La beauté des liturgies est pour la Gloire de Dieu et fait aussi du bien à ceux qui y sont sensibles. Mais, si la forme est importante, c’est parce qu’elle exprime quelque chose de ce qui est dans le cœur. L’essentiel est que les formes de la liturgie aident le cœur à s’orienter vers les réalités invisibles, sans l’enfermer dans des attachements sensibles ou trop humains.

La vraie question est : quel sens ont pour moi les paroles du Christ «  ceci est mon corps », « ceci est mon sang » ? Si elles ne rencontraient pas un acte de foi profond, un désir de s’unir à l’offrande du Christ et une volonté de le laisser accroitre mon amour, ces paroles seraient comme vidées de leur sens.

Les paroles, « ceci est mon corps », « ceci est mon sang », prononcées par les prêtres sur toute la terre, même en cette période de confinement, doivent être entendues avec le plus grand sérieux. Car, en faisant cela en mémoire du Christ, ceux qui ont été ordonnés pour servir à la manière des Apôtres, deviennent des instruments du Seigneur qui, avec leurs bouches, agit par Sa Parole et change le pain en son Corps livré pour nous, le vin en son précieux Sang versé pour nous. Ce mystérieux et invisible changement ne devrait jamais rencontrer dans nos cœurs ni indifférence ni ingratitude.

Ces temps-ci, la distanciation physique entre ceux qui prononcent ces mots et ceux pour qui le Corps est livré et le Sang versé, ne diminue pas la force du don que le Seigneur fait à son Église. Et cela doit stimuler chez tous le désir de s’approcher à nouveau très vite de ce mystère pour en savourer la joie.

La condition pour communier est de se trouver « en état de grâce ». Comme son nom l’indique, cet état de grâce est le fruit d’une grâce, c’est-à-dire d’un don immérité. Mais recevoir cette grâce pour qu’elle modifie notre état suppose d’ouvrir pleinement son cœur, en disant au Seigneur : oui, je crois, et en mettant toutes ses forces au service d’une conversion en actes.

« Dis seulement une parole et je serai guéri » : quand nous prononçons ces mots, ils ne sont sincères que si nous désirons réellement que Dieu guérisse notre âme de tout vice, de toute imperfection et de tout égoïsme.

Notre communion eucharistique nous délivre de l’auto-référencement car elle renforce l’unité de l’Église, la cohérence et le rayonnement du Corps mystique du Christ. Comme l’expliquait saint Augustin, au lieu que cette nourriture soit assimilée par notre corps comme c’est le cas pour tout autre aliment, c’est nous qui sommes assimilés spirituellement par le Christ, faisant ainsi corps avec toute l’Église dont Il est la tête. « Devenez ce que vous recevez, devenez le Corps du Christ » chante un cantique inspiré de ce mystère de foi. C’est pourquoi, spécialement dans notre culture fortement individualiste, ce sacrement est si important pour un chrétien : il nous donne de faire corps en Église, et, en elle, de devenir sacrement de l’union à Dieu et de l’unité du genre humain annoncée pour la fin des temps.

Mes frères, que ce temps de confinement soit l’occasion de désirer davantage cette transformation de notre être intérieur et cette mise en cohérence de notre vie extérieure avec le projet de Dieu. Ce sont des fruits à attendre de l’eucharistie.

Si notre désir eucharistique s’approfondit, nul doute que Dieu nous comblera de sa joie et de ses consolations. Rendons grâces au Seigneur de tout notre cœur.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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