Messe Chrismale Homélie de Mgr Laurent Camiade.

Lundi saint, 15 avril 2019

« Le souffle du Seigneur est sur moi, dit le prophète Isaïe au sujet du Messie, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61,1, cité par Lc 4,18). Et que devra faire le Christ une fois consacré par l’onction ? Annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, la liberté aux captifs, la guérison et les bienfaits de Dieu. Belle mission, oui vraiment ! Comment ne pas s’en réjouir ? Cette œuvre de Salut pour laquelle le Christ est envoyé aura ensuite une conséquence inattendue : le peuple ainsi racheté, libéré, guéri, deviendra lui-même un peuple consacré à Dieu, un peuple de « prêtres du Seigneur », un peuple de « servants de notre Dieu ». Déjà, Isaïe annonce le mystère de l’Église, ce peuple de sauvés qui devient un peuple de prêtres et de serviteurs de Dieu, consacrés dans le souffle du Seigneur.

Reconnaissons-le, mes frères, ce n’est pas forcément l’image que la société dans laquelle nous vivons nous renvoie de ce qu’est l’Église. Nous-mêmes, d’ailleurs, avons-nous conscience d’être un peuple de prêtres et de serviteurs de Dieu ? Il faut bien comprendre ici le mot prêtre comme intermédiaire entre les hommes et Dieu. Tous les baptisés ont ce sacerdoce commun car, portés par le souffle de l’Esprit, ils offrent à Dieu le monde dans lequel ils vivent. Nous allons bénir, dans un instant les huiles saintes qui servent pour diverses onctions, dans des sacrements qui apportent la guérison et les bienfaits de Dieu. Avant la bénédiction du Saint-Chrême, le rituel propose que je souffle sur l’huile parfumée. Ce geste rappelle bien que c’est l’Esprit de Dieu qui anime l’Église. Mais est-ce réellement ce Souffle bienfaisant que nous donnons à voir autour de nous ?

Sûrement, c’est le cas, ne voyons pas que le verre à moitié vide ! Il y a bien des personnes qui attendent ces grâces et ces sacrements, le baptême, la confirmation, l’eucharistie, l’onction des malades. Même s’il n’y a plus beaucoup de « pratiquants réguliers » comme dit la sociologie religieuse, ceux qui gardent dans leur cœur un sens fort de la valeur inestimable de l’eucharistie et des autres sacrements n’ont pas disparu. Vous-mêmes, ici présents ce soir, vous êtes les témoins de ce Souffle et de ce don que le Seigneur ne cesse de faire à travers son Église. Merci pour votre fidélité, elle est un vrai signe d’espérance et je sais bien que pour un certain nombre d’entre vous, le fait d’être attachés aux sacrements de l’Église vous expose à des critiques et des moqueries. Ce n’est pas facile d’assumer l’identité catholique à notre époque. Probablement avons-nous tous notre petite part de responsabilité dans le spectacle d’incohérence actuel. Mais le monde et le temps médiatiques ne pardonnent rien. Assumer de faire partie d’un peuple de pécheurs et d’être des pécheurs nous-mêmes n’a rien de confortable, même si nous prétendons nous convertir, refuser de nous installer dans nos péchés.

Le point le plus critique, cependant, me semble-t-il, est d’arriver à témoigner que nous sommes toujours et malgré tout ce peuple de prêtres et de serviteurs du Seigneur et non pas une communauté repliée sur elle-même avec ses querelles d’ego, ses systèmes de manipulation et parfois même ses perversions. Une Église qui a du souffle est dégagée de toutes ces tentations !

Peuple de prêtres, peuple de serviteurs de Dieu. Dans la Bible, le peuple est présenté comme un corps organisé avec diverses hiérarchies, les prophètes, des juges, des prêtres et aussi parfois des rois ou autres chefs des peuples. La diversité et une certaine organisation caractérisent le peuple biblique. Le peuple se corrompt parfois, mais Dieu le rappelle sans cesse, l’invite à la conversion, le punit et lui pardonne. Quand Moïse organise le peuple, le Seigneur prend une part du souffle qui reposait sur Moïse et le transmet aux soixante-dix anciens qu’il a choisis, il formule aussi le rêve que tout le peuple reçoive le souffle du Seigneur et devienne un peuple de prophètes (cf. Nb 11,29). Isaïe, nous l’avons entendu, annonce l’avènement d’un peuple de prêtres et de serviteurs de Dieu.

La conversion du Peuple de Dieu, répondant fidèlement aux appels du Seigneur, ne peut être qu’un fruit du Saint-Esprit. Ce n’est jamais, une construction humaine. C’est important de bien avoir en tête cela : l’Eglise n’a pas vocation à une forme d’unité totalitaire, ni à construire elle-même une communauté parfaite. Elle a pour mission d’appeler à accueillir l’Esprit Saint —le Souffle du Seigneur— et de répondre à l’amour immérité du Christ qui a donné sa vie pour les pécheurs. Elle est un peuple d’appelés, convoqués, sanctifiés et non pas une élite parvenue sur terre à une forme quelconque de pureté institutionnelle. Jamais l’Église ne sera sans péché sur cette terre. Sans cesse, elle célèbrera le carême avant Pâques, pour se convertir, pour revenir au Seigneur et pour accueillir la grâce du Salut.

Au XX° siècle, il y a eu tant et tant de communautés qui se sont crues idéales, plus parfaites que les autres catholiques, plus à la mode, plus dans le coup et rayonnantes ou d’autres qui se disaient plus authentiques et plus ancrées dans la tradition. Hélas, dans toutes ces expériences, souvent intenses et enthousiasmantes au début, la chute a été catastrophique. Nous sommes issus du siècle des grands totalitarismes qui ont instrumentalisé les peuples, qui les ont fanatisés pour finalement détruire la paix mondiale et semer la mort. Dans l’Église aussi, la tentation d’idéologies totalitaires s’est insinuée dans des groupes qui se sont crus meilleurs que les autres alors que le peuple de Dieu n’est pas une élite mais une assemblée si diversifiée que seul Jésus-Christ peut la réunir.

Isaïe annonce : vous serez un peuple de servants de votre Dieu (cf. Is 61,6). Il y a une condition pour être un bon serviteur, c’est de renoncer à se servir soi-même. Pour être un peuple de servants de Dieu, il est nécessaire d’extirper de nos esprits toute inclination à profiter des autres et à abuser des plus faibles. La chasteté, avant d’être, pour des célibataires, la continence sexuelle, consiste, pour toute personne à s’exercer au détachement vis-à-vis de tout avantage ou toute gloire personnelle. La chasteté au sens large, c’est ne pas utiliser les autres pour soi. La seule récompense est de savoir qu’on fait la volonté du Seigneur.

Nos talents personnels, nos capacités humaines ne sont pourtant pas inutiles. Ce sont des moyens au service de l’œuvre de Dieu. Dieu ne se trompe pas quand il compte sur la collaboration de notre humanité. Il est remarquable que Jésus a lu ce texte d’Isaïe qui le désigne comme Christ, c’est-à-dire oint par le Souffle du Seigneur, précisément à Nazareth où il avait grandi (cf. Lc 4,16) : l’Incarnation est le lieu où agit vraiment l’Esprit Saint.

Une idée fausse, serait d’imaginer que nous puissions arriver à dire une fois pour toutes quelle est la volonté de Dieu pour notre communauté, notre groupe, notre paroisse et notre diocèse. Un peu comme si cette volonté de Dieu nous dispensait de nous engager nous-mêmes, de prendre nos propres décisions. Dieu nous a placés là, avec notre humanité et toute notre liberté. La volonté de Dieu c’est d’abord que nous mettions ce que nous sommes, notre humanité avec tous ses talents, au service de l’Esprit Saint. Il sait très bien que nous avons par ailleurs des failles et des limites. Mais cela aussi fait partie de sa volonté car il manifestera également dans nos faiblesses que c’est bien Lui qui conduit l’Église et c’est Lui qui nous sauve. Quiconque se croit en mesure de sauver l’Église fait faute route car la vérité c’est que c’est l’Église qui nous sauve. Dieu nous sauve par le moyen de l’Église. N’inversons pas les rôles !

Nous prions pour que le Souffle de Dieu soit sur nous comme il a reposé sur le Christ, mais nous ne sommes pas le Christ, aucun de nous tout seul, sans le reste de l’Église. C’est avec notre sensibilité propre, notre humanité, notre bonne volonté et nos efforts de conversion que nous pouvons le mieux devenir des instruments dociles à l’Esprit Saint. Mais si nous croyons avoir capté le Souffle du Seigneur une fois pour toutes, c’est que ce n’est pas un souffle, ce n’est pas l’Esprit Saint. Ce n’est pas l’Église.

En ce jour de renouvellement des promesses de prêtres, demandons cette grâce au Seigneur pour chacun d’entre nous, que nous soyons de vrais témoins du Christ, celui que le Souffle du Seigneur a consacré par l’onction et qui sauve le monde.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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